Prière pour les conducteurs des trains

parce que la SNCF n’a rien fait pour eux

dimanche 2 juillet 2006, par Hélène Lipietz

L’article de « la vie du rail  » du 21 juin 2006, tout comme les réactions sur internet soulignent l’incompréhension des cheminots qui sont révulsés que la SNCF ait été condamnée pour la faute de service dans la déportation des Juifs .

Comment expliquer cette réaction des cheminots qui se sentent insultés parce que la personne morale de droit public qu’est la SNCF a été condamnée pour la faute qu’elle n’a jamais payée ?

Si cette faute, reconnue par le tribunal mais aussi par S. Klarsfelden 2000, et implicitement par la SNCF, en la personne de monsieur MINGASSON, représentant monsieur GALLOIS, n’a jamais été payée, c’est parce qu’à la sortie de la guerre, l’ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine a été volontairement déformée par le Vice-Président du Conseil d’Etat, monsieur René CASSIN afin de « ressouder » la France en créant de le mythe de « tous résistants  »... et tant pis pour les victimes, tant pis pour le travail de deuil...

Il est vrai qu’on ne savait pas... le trauma, au sens psychologique, qu’avaient vécu les victimes, notamment lorsqu’elles étaient victimes d’une loi et non de leur volonté propre : les victimes résistantes savaient, en s’engageant qu’elles risquaient leur peau et leur calvaire était un « martyr » au sens premier du terme : un témoignage. Comme les premiers chrétiens, par leur résistance à l’occupant, ils rendaient témoignage à la Liberté et à la lutte contre la tyrannie. Leur martyr était donc assumé, allant parfois jusqu’à chanter la Marseillaise ou l’Internationale sous les balles, comme les premiers chrétiens surent prier sous les dents des fauves.

C’est cette volonté dans l’action qui fait la différence entre les victimes politiques et les victimes raciales. Un juif, un tzigane, un homo n’a ni voulu cette résistance et ni anticipé ce martyr, encore moins quand la victime avait 2 ou 3 ans et qu’elle était habillée comme un petit prince pour qu’elle n’est pas peur de l’horrible bouche des wagons qui devaient l’amener retrouver ses parents dont elle était privée depuis des mois...

La volonté de l’Homme permet de magnifier l’horreur, mais l’incompréhension de l’horreur empêche même la transmission de celle-ci... C’est ce qui s’est passé au retour des camps : qui pouvait croire car qui pouvait imaginer, qui pouvait penser que l’Homme avait ôté toute humanité à l’individu, le marquant sur sa peau comme on marque des bestiaux, le privant de toute individualité comme une colonie d’insectes que l’on va écraser sous le talon d’une botte ?

Le trauma des survivants raciaux était inconnu : les précédents génocides trop anciens (indiens d’Amérique, sans compter tous les génocides qui nous sont inconnus) ou les survivants trop noyés dans leur pays d’accueil (Arméniens) pour que leur cas ait pu être étudié. Mais les Juifs, eux, sont revenus « chez eux » et ils ont témoigné par leur retour de l’ignoble. Or combien de Français leur avait personnellement tendu la main, les avait planqués ou simplement avertis, parmi ceux qu’ils considéraient comme leur voisin ?

Quand nos grands-parents sont retournés en septembre 1944 rechercher leur bien à Pau, leur appartement provisoire était occupé par la voisine du dessous, celle-là même qui avait dû les dénoncer et à qui ils avaient confiés en le jetant par la fenêtre l’argent emporté pour le voyage vers l’Espagne. Cette brave femme, pas très fière, avait dépensé cet argent, mais elle le leur rendit, petit bout par petit bout, et Papa ne nous a jamais dit de mal d’elle, il était plutôt goguenard en se souvenant de sa tête lorsqu’ils sont revenus vivants...dans leur appartement. Quel dommage que je ne lui ai pas demandé plus de détails... qu’avait-elle fait des habits laissés par exemple et des livres de maths de papa ?

Cette lâcheté du quotidien, je l’aurai peut-être eue parce que c’est plus simple, moins compliqué, moins dangereux aussi ;... c’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Commissaire du Gouvernement, monsieur Thuilet dans Ses conclusions. Qu’aurions-nous fait à leur place ? aurais-je eu le courage de Grand-père et de Maman ou même de ma grand-mère qui tint tête aux allemands « hébergés d’office » à Avallon et qui leur refusa durant 4 mois l’accès à la cuisine... les laissant réchauffer leur popotes réglementaire comme ils purent... ?

Papa n’a jamais fait le moindre reproche aux cheminots de base, ceux qui pour survivre firent leur métier, il n’en avait qu’après l’appareil, ceux qui planqués dans leur bureau donnaient des ordres ou, pire encore ne les donnèrent pas.

Et si Papa attaqua, dès qu’il le put la SNCF, en 2001, ce fut l’appareil décisionnel à travers la notion de personne morale et non les cheminots.

Il aurait été surpris des réactions des cheminots, tout comme mon frère et moi, car dans son esprit, la bataille du rail était la preuve que, si la direction avait voulu, jamais il n’y aurait eu les 77 trains vers la nuit et le brouillard.

Et moi je suis bouleversée par cette réaction cheminote, sans doute parce que je suis une juriste et que je n’ai raisonné qu’en juriste : la personne morale est davantage que la somme des personnes physiques qui la composent... et sa responsabilité est d’abord celle de sa bouche c’est à dire de ses dirigeants, même si les bras ont parfois été un peu faibles.

Alors, pensant au trauma des survivants qui ne fut pas pris en compte je m’interroge du traumatisme des cheminots dont témoigne leur peine à la suite de ce procès et je pense en particulier à tous ceux qui ont conduit, sur ordre de leur hiérarchie, les trains vers Drancy et pire encore vers l’Est...

Il s’est trouvé un chef pour dire à un cheminot "conduis ce train jusqu’à la frontière allemande". Si ce chef n’avait pas existé, peut-être que ce conducteur de train, en janvier 1945, à la libération des Camps aurait pu retrouver le sommeil... Car, j’imagine toujours la détresse que cela dut être pour les conducteurs de trains quand ils découvrirent jusqu’où l’obéissance aux ordres a pu conduire des êtres humains... C’est peut-être pour cacher cette souffrance qu’il y eut l’encensement de la résistance cheminote, réelle mais jamais envers les trains de déportés raciaux sauf une seule et unique fois, semble-t-il !

Savait-il qu’un seul cheminot a refusé de conduire un train de déportés raciaux... Sans doute, ce chrétien syndicaliste pratiquant avait-il entendu à la messe le prêche de monseigneur Théas, évêque de Montauban qui avait rappelé que les juifs sont des Hommes (et non des bestiaux ), il n’a pas été fusillé, licencié il était rentré dans la résistance puis avait été dénoncé

Papa était hanté par les Enfants habillés comme des petits princes qui criaient dans ses cauchemars jusqu’à la veille de sa mort, je prie pour ces cheminots qui durent être hantés par les ordres des collabos de patrons qui les obligèrent, jusqu’au bout, à conduire les trains... parce que le train passera toujours !

Le conducteur ne pouvait ignorer les cris des enfants, même si sa machine faisait du bruit, il les a vus monter dans le train, il les a vus pointer par un gendarme français... et pourtant il a conduit le train...

Peut être le soir écoutait-il Radio-Londres et il savait qu’il y avait quelque chose de terrible en Pologne et pourtant il avait peur pour lui, pour sa famille pour ses propres enfants et conduisit le train jusqu’à les remettre à l’ennemi. S’est-il demandé comment dormaient ces enfants entassés sur la litière pleine d’urine, comment faisaient ces enfants pour boire, comment faisaient ces enfants qui avaient l’âge des siens, pour s’endormir dans un train alors que depuis 6 heures du matin ils étaient enfermés dans ces wagons ?

Les cauchemars de ces cheminots, qui les a soignés ? Aujourd’hui les appelés de la guerre d’Algérie sont pris en charge pour les horreurs qu’ils ont commis ou vues, mais la SNCF, personne morale, décorée de la médaille de la résistance gagnée par ses cheminots et non pour ses faits propres, a-t-elle jamais pris en charge ces conducteurs ? Aujourd’hui certains doivent avoir l’âge de mon père, ont-ils, comme lui, les yeux qui partent dans le vague ?

De tout mon cœur je souhaite que les enfants qu’ils ont conduits ne viennent pas les hanter.

Le jugement est pour ces conducteurs un message de paix intérieure : reconnaître que les chefs de la SNCF sont responsables, doit les justifier à leur propres yeux. Tel est mon souhait le plus cher.

Forum

8 Messages

  • vous seule pouviez écrire un tel article bouleversant.

    Je m’étonne que des cheminots, peut être par corporatisme, ne comprennent pas votre démarche. Sans doute que la notion de personnalité morale, artefact juridique qui a des effets biens réels, restent pour les non juristes, abscure.

    Sylvain

    • Bonjour Madame,

      Bravo pour votre courage.

      Je ne suis pas juive mais je me sens proche des Juifs et de leur culture. Je suis très bouleversée par l’antisémitisme que je découvre au quotidien chez nombre de Français, surtout ceux qui réagissent sur les blogs (dont mon modeste blog). Je n’imaginais même pas à quel point il était développé dans ce pays.

      La violence et la haine qui s’expriment à l’encontre d’Israël en ce moment sur Internet me font peur !!!!! Comme si humainement on avait le droit de prendre parti pour un peuple contre un autre !!!!

      Je veux bien dire qui je suis, mais la barre « Qui êtes-vous » ci-dessous m’empêche de le faire !

      Marie

      http://www.marieweblog.com

      • Prière pour les conducteurs des trains date forum, par dominique

        Bonjour, mon grand pére a un jour dû monter dans un de ces wagons pour buchenwald... Ce sont des gendarmes français qui sont venu le chercher pour lui offir ce terrible voyage...Son nom figurait sur une liste établie par la mairie de son village... IL était communiste et a certainement voyagé avec des homos des « poissons rouges » des juifs des résistants...aujourd’hui son nom ne figure sur aucun mur du souvenir mais il est rentré vivant et pour moi il a toujours été un modèle de sincérité de sagesse, il n’en a jamais voulu à personne dans son village pas même à celui qui a dû un jour coucher son sur cette liste...pas même à moi qui suit...conducteur de train...

    • date forum, par Hélène Lipietz

      Ai-je jeté l’opprobre sur tout un parti ? Non, juste sur les conséquences secondaires d’une absence de cohésion autour d’une candidate qui n’a pas démérité et sur le refus d’unir la Gauche, union que les Verts ont réclamée en vain.

      Quant aux militants socialistes, ils me manquent »¦ C’est la première campagne que je fais sans eux depuis 12 ans. J’aimais nos engueulades et nos rires, lors des boîtages communs. J’en ai encore la nostalgie et j’en ai parlé hier à mon fils en lui montrant où habitait une militante de Melun nord qui était pour moi un modèle de vraie syndicaliste et de vraie militante.

      Chez les Verts, c’est simple, soit on change de camp et on va à la soupe (à la grimace ? chez les Oranges) soit on va porter la bonne nouvelle de l’écologie .-) au PS, mais à aucun moment on ne se réclame « vert et UMP ».

      Je n’ai pas l’impression, au vue des nouveaux adhérents et du succès d’hier (près de 60 personnes à l’espace saint Jean) que nous ayons été dévastés par l’UMP. C’est la planète qui est dévastée par le productivisme soutenu par l’UMP, les socialistes et autres depuis des années.

      Et puis qui a refusé de nous entendre ? Cela fait des années que les Verts appellent à une réformation de la société qui passe par l’écologie politique, créatrice d’emplois et donc de lien social »¦

      Mais nous étions aux yeux de certains socialistes de doux rêveurs, pas sérieux..

      Désolée, mais votre déconfiture aux législatives ne sera pas la faute des Verts, ni même de l’UMP : quand on perd, ce n’est jamais de la faute de l’autre, mais de sa propre faute, c’est ce que m’a appris le métier d’avocat.

      Votre défaite que vous annoncez, contrairement à moi, elle sera de votre responsabilité comme j’estimerai avoir perdu si je ne fais pas 5% (je ne rêve pas, je ne referai pas mon score des cantonales !)

      Aujourd’hui, mon ami socialiste, je vous invite à ne pas baisser les bras et venir tracter (enfin il est un peu tard) avec moi, sûr que la politique que je propose, que les Verts portent sans honte permettra de restaurer la planète et de redonner l’envie de vivre ensemble.

      Mais pour cela, il faut croire que l’action vaut mieux que la résignation »¦ Ce qui n’est plus le cas de certains qui se disent socialistes, nationaux ou locaux.

  • date forum, par shakti

    Madame Lipietz, vous ne POUVEZ PAS, parce que peut-être 4 personnes ont choisi de changer de camp, des personnes qui ne se revendiquent même pas -ou plus- du PS, jeter l’opprobre sur tous les militants et sympathisants qui, comme les Verts, sont dévastés par la politique de l’UMP. Le combat de la gauche est trop important pour cela. Et je ne vais pas vous faire l’insulte de vous rappeler tous les membres des Verts qui ont quitté votre parti, aujourd’hui et surtout même avant les présidentielles (pensez à Aurélie Philippetti). Les conséquences des mesures annoncées par le président-chef de gouvernement sont trop graves pour que l’on affaiblisse une gauche qui doit plus que jamais s’unir. Même si les logiques électorales ne nous conviennent pas. Amicalement.