Si cette faute, reconnue par le tribunal mais aussi par S. Klarsfelden 2000, et implicitement par la SNCF, en la personne de monsieur MINGASSON, représentant monsieur GALLOIS, n’a jamais été payée, c’est parce qu’à la sortie de la guerre, l’ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine a été volontairement déformée par le Vice-Président du Conseil d’Etat, monsieur René CASSIN afin de « ressouder » la France en créant de le mythe de « tous résistants »... et tant pis pour les victimes, tant pis pour le travail de deuil...
Il est vrai qu’on ne savait pas... le trauma, au sens psychologique, qu’avaient vécu les victimes, notamment lorsqu’elles étaient victimes d’une loi et non de leur volonté propre : les victimes résistantes savaient, en s’engageant qu’elles risquaient leur peau et leur calvaire était un « martyr » au sens premier du terme : un témoignage. Comme les premiers chrétiens, par leur résistance à l’occupant, ils rendaient témoignage à la Liberté et à la lutte contre la tyrannie. Leur martyr était donc assumé, allant parfois jusqu’à chanter la Marseillaise ou l’Internationale sous les balles, comme les premiers chrétiens surent prier sous les dents des fauves.
C’est cette volonté dans l’action qui fait la différence entre les victimes politiques et les victimes raciales. Un juif, un tzigane, un homo n’a ni voulu cette résistance et ni anticipé ce martyr, encore moins quand la victime avait 2 ou 3 ans et qu’elle était habillée comme un petit prince pour qu’elle n’est pas peur de l’horrible bouche des wagons qui devaient l’amener retrouver ses parents dont elle était privée depuis des mois...
La volonté de l’Homme permet de magnifier l’horreur, mais l’incompréhension de l’horreur empêche même la transmission de celle-ci... C’est ce qui s’est passé au retour des camps : qui pouvait croire car qui pouvait imaginer, qui pouvait penser que l’Homme avait ôté toute humanité à l’individu, le marquant sur sa peau comme on marque des bestiaux, le privant de toute individualité comme une colonie d’insectes que l’on va écraser sous le talon d’une botte ?
Le trauma des survivants raciaux était inconnu : les précédents génocides trop anciens (indiens d’Amérique, sans compter tous les génocides qui nous sont inconnus) ou les survivants trop noyés dans leur pays d’accueil (Arméniens) pour que leur cas ait pu être étudié. Mais les Juifs, eux, sont revenus « chez eux » et ils ont témoigné par leur retour de l’ignoble. Or combien de Français leur avait personnellement tendu la main, les avait planqués ou simplement avertis, parmi ceux qu’ils considéraient comme leur voisin ?
Quand nos grands-parents sont retournés en septembre 1944 rechercher leur bien à Pau, leur appartement provisoire était occupé par la voisine du dessous, celle-là même qui avait dû les dénoncer et à qui ils avaient confiés en le jetant par la fenêtre l’argent emporté pour le voyage vers l’Espagne. Cette brave femme, pas très fière, avait dépensé cet argent, mais elle le leur rendit, petit bout par petit bout, et Papa ne nous a jamais dit de mal d’elle, il était plutôt goguenard en se souvenant de sa tête lorsqu’ils sont revenus vivants...dans leur appartement. Quel dommage que je ne lui ai pas demandé plus de détails... qu’avait-elle fait des habits laissés par exemple et des livres de maths de papa ?
Cette lâcheté du quotidien, je l’aurai peut-être eue parce que c’est plus simple, moins compliqué, moins dangereux aussi ;... c’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Commissaire du Gouvernement, monsieur Thuilet dans Ses conclusions. Qu’aurions-nous fait à leur place ? aurais-je eu le courage de Grand-père et de Maman ou même de ma grand-mère qui tint tête aux allemands « hébergés d’office » à Avallon et qui leur refusa durant 4 mois l’accès à la cuisine... les laissant réchauffer leur popotes réglementaire comme ils purent... ?
Papa n’a jamais fait le moindre reproche aux cheminots de base, ceux qui pour survivre firent leur métier, il n’en avait qu’après l’appareil, ceux qui planqués dans leur bureau donnaient des ordres ou, pire encore ne les donnèrent pas.
Et si Papa attaqua, dès qu’il le put la SNCF, en 2001, ce fut l’appareil décisionnel à travers la notion de personne morale et non les cheminots.
Il aurait été surpris des réactions des cheminots, tout comme mon frère et moi, car dans son esprit, la bataille du rail était la preuve que, si la direction avait voulu, jamais il n’y aurait eu les 77 trains vers la nuit et le brouillard.
Et moi je suis bouleversée par cette réaction cheminote, sans doute parce que je suis une juriste et que je n’ai raisonné qu’en juriste : la personne morale est davantage que la somme des personnes physiques qui la composent... et sa responsabilité est d’abord celle de sa bouche c’est à dire de ses dirigeants, même si les bras ont parfois été un peu faibles.
Alors, pensant au trauma des survivants qui ne fut pas pris en compte je m’interroge du traumatisme des cheminots dont témoigne leur peine à la suite de ce procès et je pense en particulier à tous ceux qui ont conduit, sur ordre de leur hiérarchie, les trains vers Drancy et pire encore vers l’Est...
Il s’est trouvé un chef pour dire à un cheminot "conduis ce train jusqu’à la frontière allemande". Si ce chef n’avait pas existé, peut-être que ce conducteur de train, en janvier 1945, à la libération des Camps aurait pu retrouver le sommeil... Car, j’imagine toujours la détresse que cela dut être pour les conducteurs de trains quand ils découvrirent jusqu’où l’obéissance aux ordres a pu conduire des êtres humains... C’est peut-être pour cacher cette souffrance qu’il y eut l’encensement de la résistance cheminote, réelle mais jamais envers les trains de déportés raciaux sauf une seule et unique fois, semble-t-il !
Savait-il qu’un seul cheminot a refusé de conduire un train de déportés raciaux... Sans doute, ce chrétien syndicaliste pratiquant avait-il entendu à la messe le prêche de monseigneur Théas, évêque de Montauban qui avait rappelé que les juifs sont des Hommes (et non des bestiaux ), il n’a pas été fusillé, licencié il était rentré dans la résistance puis avait été dénoncé
Papa était hanté par les Enfants habillés comme des petits princes qui criaient dans ses cauchemars jusqu’à la veille de sa mort, je prie pour ces cheminots qui durent être hantés par les ordres des collabos de patrons qui les obligèrent, jusqu’au bout, à conduire les trains... parce que le train passera toujours !
Le conducteur ne pouvait ignorer les cris des enfants, même si sa machine faisait du bruit, il les a vus monter dans le train, il les a vus pointer par un gendarme français... et pourtant il a conduit le train...
Peut être le soir écoutait-il Radio-Londres et il savait qu’il y avait quelque chose de terrible en Pologne et pourtant il avait peur pour lui, pour sa famille pour ses propres enfants et conduisit le train jusqu’à les remettre à l’ennemi. S’est-il demandé comment dormaient ces enfants entassés sur la litière pleine d’urine, comment faisaient ces enfants pour boire, comment faisaient ces enfants qui avaient l’âge des siens, pour s’endormir dans un train alors que depuis 6 heures du matin ils étaient enfermés dans ces wagons ?
Les cauchemars de ces cheminots, qui les a soignés ? Aujourd’hui les appelés de la guerre d’Algérie sont pris en charge pour les horreurs qu’ils ont commis ou vues, mais la SNCF, personne morale, décorée de la médaille de la résistance gagnée par ses cheminots et non pour ses faits propres, a-t-elle jamais pris en charge ces conducteurs ? Aujourd’hui certains doivent avoir l’âge de mon père, ont-ils, comme lui, les yeux qui partent dans le vague ?
De tout mon cœur je souhaite que les enfants qu’ils ont conduits ne viennent pas les hanter.
Le jugement est pour ces conducteurs un message de paix intérieure : reconnaître que les chefs de la SNCF sont responsables, doit les justifier à leur propres yeux. Tel est mon souhait le plus cher.
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