En effet, même si le Président a demandé aux avocats de faire plus court que lors de la précédente audience, il a été difficile de ne pas replaider et comme l’a remarqué un des avocats de la SNCF, certains magistrats n’ont pas entendu la première plaidoirie : il y avait bien neuf magistrats, dont deux sur des chaises rapportées.
Que dire des plaidoiries de la SNCF ?
Notre mathématicienne de fille aînée, commence à devenir bonne en logique juridique. Comme elle l’a fait remarquer à son père durant la plaidoirie de la SNCF, leur argument premier, « la jurisprudence judiciaire nous a donné raison lorsque monsieur SCHAECHTER nous a attaqué, vous pouvez suivre le même raisonnement » est en contradiction avec leur argument ultérieur dans lequel ils nous reprochent de ne pas avoir fait notre demande plus tôt, malgré le fameux arrêt GANASCIA de 1947car la « jurisprudence, cela se change » !
Sinon, énorme faute de plaidoirie, à mon avis : l’avocat a lu l’ordre hiérarchique, puis le prétendu ordre de réquisition, ce qui a permis à Rémi de faire remarquer, comme dans le mémoire, que la SNCF a été en deçà de ce que réclamait l’Etat puisque Mamie a été transportée en wagon à bestiaux, avec son fils mineur, et qu’il n’y avait pas d’eau. Et ce « point de détail » va être fondamental...
Rémi en colère
La troisième plaidoirie de Rémi fut magnifique, même s’il elle fut très différente de la plaidoire écrite, et sans doute pour celà ... Rémi devient presque un ténor du Barreau !
Est-ce d’avoir répété d’abord à Toulouse, puis une première fois à Bordeaux ou est-ce parce qu’il en avait assez de la mauvaise foi de la SNCF, surtout lorsque celle-ci continuait de prétendre que c’est l’arrêt Papon qui a décidé de l’action de Papa, alors que c’est l’arrêt Pelletier, du 6 avril 2001 qui est le signe précurseur du revirement de jurisprudence, arrêt dont Rémi a été le seul à comprendre l’importance, pourquoi ne pas lui rendre cet hommage ? Alors même que l’avocat spécialiste de droit administratif, appelé par la SNCF en renfort en cours de procédure, a fait remarquer que Rémi « est un bon connaisseur de la responsabilité de notre matière ».
Le fait ait que Rémi a été bon... j’ai eu envie de pleurer, parce qu’il a su joindre la sécheresse d’une plaidoirie administrative et l’humanité d’une plaidoirie pénale.
Il a été bon dans les arguments, en sélectionnant les plus pertinents : Celui qui a fait mouche, où j’ai vraiment vu le regard des magistrats changer, c’est lorsque Rémi a rappelé que Jacques-Henri FOURNIER était l’ancien patron du SCAP puis du CGQJ, service central de l’administration provisoire, chargé de la spoliation des biens juifs, avant d’être le PDG de la SNCF, poste qu’il a occupé jusqu’à Août 1946, lui permettant ainsi de manipuler l’Histoire et d’affirmer que la SNCF n’avait jamais été payée pour le transport des Juifs.
un antisémitisme toujours nié
En écrivant cet article je découvre, tout comme vous si vous avez eu la curiosité de lire le lien sur Fournier, que la SNCF, par le biais de l’AHICF, son bras historique, falsifie encore et toujours l’Histoire ! Rien sur le peu glorieux passé antisémite de FOURNIER. Que j’ai été bête de ne pas regarder plutôt ce site, Rémi aurait pu ainsi démontrer encore mieux la honteuse histoire antisémite de la SNCF !
Malgré ce loupé, Rémi a assené que la SNCf n’avait pas besoin d’être réquisitionnée puisque les dirigeants étaient des "collabos" ! C’est fou ce que ce terme de « collabo » est plus parlant dans toute son horreur que celui de collaborateurs »¦Ce fut un grand moment de la plaidoirie... A partir de ce moment Rémi a parlé avec ses tripes, il a dénoncé toutes les compromissions de la SNCF non pas avec l’ennemi de l’extérieur, avec l’Allemand, mais avec ce vieil ennemi de l’Esprit français, de la Grandeur française : la négation des Droits Humains dont l’antisémitisme n’est qu’une des composantes.
Et puis pour finir ce magnifique pénultième passage sur l’équité comme source du droit. J’ai déjà plaidé l’équité devant la commission centrale d’aide sociale, mais c’est vrai que c’est émouvant de l’entendre plaider par un autre : l’équité c’est ce qui reste pour que la justice triomphe du droit.
Bravo Rémi, d’avoir surmonté ta timidité naturelle ! Que Papa avait raison de te faire confiance ! Merci d’avoir su porter toute la peine des victimes obscures à qui on a refusé pendant 60 ans la Justice.
un Commissaire du Gouvernement bien embêté
Les conclusions du Commissaires du Gouvernement furent plus construites, moins bâclées, (longue de près de 30 minutes) sauf qu’elles manquaient toujours autant de références jurisprudentielles, pourtant la base du métier de commissaire du Gouvernement. Notamment lorsqu’il affirme sans aucune référence que le simple fait de participer, requis ou non, à une opération de police administrative, transfère à l’Etat l’indemnisation de tous les préjudices qui en auraient découlé. Rémi a répondu à cet argument, issu de monsieur GAUDEMET et présenté par la SNCF.
A aucun moment il ne s’est prononcé sur la nature des nouveaux documents produits en réouverture d’instruction. Bref, s’il a mieux formulé ses arguments et qu’il a gommé les mots qui faisaient mal, sans doute conscient de leur caractère insupportable, il en est arrivé aux mêmes conclusions. Alors qu’est ce qui fait que, 5 minutes avant la fin, j’ai fait remarquer à maître BOULANGER, assis à côté de moi, que nous allions gagner ?
Des indices de revirement
J’avais déjà émis l’hypothèse que le Commissaire du Gouvernement était embêté parce qu’il savait qu’il n’allait pas être suivi. Cette impression avait été confirmée par l’annonce d’une audience en plénière, cela pouvait annoncer une décision en sens contraire aux conclusions du Gouvernement. C’est rare, mais nous en avons quand même une ou deux par an au cabinet.
Et là , à trois reprises, le Commissaire du gouvernement a laissé la porte ouverte pour une telle solution, ces portes ouvertes lui permettant ainsi de sauver la face... il n’aurait pas été totalement opposé à une solution contraire. Mais pour percevoir de telles indices, il faut vraiment être spécialiste en droit administratif... Maître Boulanger, l’avocat qui a porté à bout de bras l’affaire PAPON et qui vient de publier « le Juif Mendès-France » ne les a pas perçus mais Rémi, pourtant par nature pessimiste, lui les a aussi repérés.
Par deux fois, le Commissaire du Gouvernement a dit : « Actuellement, la jurisprudence sur l’imprescriptibilité ne permet pas en citant un des trois arrêts sur le STO de la CAA de Paris [1] puis, "Il n’y a pas de motifs juridiques actuels pour changer cette jurisprudence."
Or Rémi a très bien rappelé que devant la Cour administrative d’appel de Paris, aucun avocat n’avait relevé que l’imprescriptibilité était contraire tant aux accords de Londres qu’à la Convention européenne des droits de l’Homme, article 6-1. Rémi a bien enfoncé la porte pour une jurisprudence de demain différente.
Où l’ erreur de fait rejoint l’erreur de plaidoirie
Enfin le dernier indice : Le Commissaire du Gouvernement rappelle que le Conseil d’Etat a laissé une partie de l’indemnisation à la charge de Papon car celui-ci, bien que fonctionnaire, donc bien qu’aux ordres de Vichy, avait commis des fautes personnelles par son zèle. Cependant « il apparaissait difficile » au Commissaire du Gouvernement de dire qu’il en est de même pour la SNCF !
Cette faute a été établie par la SNCF elle-même dans sa plaidoirie, comme je viens de le souligner :
– les consignes de l’Etat de séparer les femmes et enfants des hommes
– de les faire voyager en voiture de troisième classe,
– le fait qu’il aurait dû y avoir de l’eau,
n’ont pas été respectées. La SNCF est fautive en n’obéissant pas aux « conditions régissant les transports de l’espèce » si elle était simplement co-contractante (ou aux ordres, si elle était réquisitionnée).
Bref, la faute distincte que refuse de voir le commissaire du Gouvernement a bien été démontrée.
Oui, nous allons gagner
Ainsi donc, si je ne suis pas convaincue par les conclusions du Commissaire du Gouvernement qui me paraissent bien faibles, qui ne répondent pas à plusieurs moyens fondamentaux mis en avant par Rémi, tels que la :
– convention régissant les transports de l’espèce,
– l’application du droit international,
elles semblent indiquer que le Commissaire du gouvernement, furieux lors de la première audience de savoir qu’il va être désavoué par la Cour, est maintenant résigné à être désavoué et a préféré laisser de lui-même une porte ouverte à un arrêt en sens contraire, car sinon pourquoi avoir ajouté ces trois petits mots qu’il n’avait pas prononcés dans ses premières conclusions ?
un arrêt à 6 jours
Quand nous disons aux clients que des projets d’arrêt, dans un sens comme dans l’autre, sont rédigés avant l’audience... nous en avons une preuve ici.
L’arrêt sera rendu le 27 mars, mardi matin donc. Il est donc signé lundi car il est évident que ce ne sera pas que le sens de l’arrêt qui va être connu mardi mais l’arrêt dans son entier, comme à Toulouse.
Donc, pour être signé lundi après-midi c’est qu’il doit avoir été définitivement tapé lundi.
Donc c’est que vendredi, les ultimes corrections, par l’ensemble des magistrats présents à l’audience doivent être remises à la frappe. C’est donc que aujourd’hui jeudi que le sens de l’arrêt et ses motifs doivent être arrêtés.
Or, les magistrats ont quitté la Cour dés la fin de l’audience. C’est donc bien que le principe du jugement, les réponses aux arguments sont déjà prêts car il n’est matériellement pas possible qu’il en soit autrement...
et donc le Commissaire du Gouvernement sait déjà s’il sera désavoué ou non, d’où son attitude... et la boucle est bouclée !
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