Incroyable... la date d’audience est connue !

30 janvier 2007, à Bordeaux

samedi 6 janvier 2007, par Hélène Lipietz

Si le tribunal administratif de Toulouse avait « enterré » le procès, jusqu’au changement de président, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient de nous communiquer la date d’audience

6 juin 2006- 30 janvier 2007

moins de 8 mois après, nous serons fixés...

La dernière fois qu’une audience a été aussi rapide, dans une affaire LIPIETZ, c’est en 1988, lorsque le tribunal administratif de Paris a annulé mon licenciement pour « insuffisance professionnelle, notamment juridique » prononcé par un office d’HLM, 5 mois après le dit licenciement...

J’espère que ce précédent se renouvellera... d’autant que la juriste perçoit dans le déroulement de la procédure, des éléments favorables.

Des signes de bon augure

  1. Le modeste jugement d’un tribunal administratif, statuant en formation simple, même pas toutes chambres réunis, est repris dans la revue informatique du Conseil d’Etat « lettre de la juridiction administrative », dès le mois de juillet 2006 mais aussi sur le site du Conseil d’Etat...

Donc, le Conseil d’Etat a considéré qu’il s’agissait d’un jugement digne de faire jurisprudence. D’autres victimes peuvent s’appuyer sur le jugement, ce qu’elle ne vont pas manquer de faire, puisque les avocats qui ont eu le courage d’accepter des requêtes LIPIETZ vont déposer celles-ci d’ici la fin janvier 2007, avec conférence de presse à l’appui.

  1. Le jugement est dans la droite ligne de l’arrêt PELLETIER, du Conseil d’Etat, qui invitait les personnes s’estimant victimes du régime de Vichy à demander réparation dans « les conditions générales de la responsabilité administrative »
  2. Les articles de droit sont en notre faveur tant sur la compétence que sur la prescription.

L’AJDA (actualité juridique droit administratif) [1], est bien très critique... mais c’est parce que l’auteur s’attriste que le juge administratif sorte de son rôle qui est de dire le droit...pour se prononcer sur le plan de la morale... Il est vrai que l’argent semble être devenu la seule langue que nous partagions. Il est regrettable que le tribunal ait écrit son jugement dans cette langue, accentuant encore davantage l’évolution victimaire de notre société avec le risque que les institutions refusent un jour de connaître leur passé et confisquent ou imposent l’Histoire

Bref, il oublie ainsi que pendant 56 ans, au nom de la nécessité du redressement national, le Conseil d’Etat et donc l’institution la plus haute de l’Etat a refusé aux victimes tout droit à réparation, confisquant ainsi la Justice et imposant l’idée d’une discontinuité de l’Etat... Il oublie aussi que Papa et tant d’autres n’ont pas été victimes d’un simple crime de droit commun, mais du plus horrible de crimes, celui qui transcende l’individu pour atteindre l’HUMANITE, ce qui fait de chaque individu une partie indissociable de tous les Hommes, le crime contre l’Humanité.

Ces erreurs ne seront sans doute pas faites la Cour d’appel, puisque la SNCF n’ose pas contester le montant de l’indemnisation, tant celui-ci est faible si on considère que mon père avait fait le choix de ne pas demander l’euro symbolique (qui vaut 6,655957 fois plus que le franc symbolique... et oui le symbole n’est plus ce qu’il était, on le reproche assez à Papa !)

Mais surtout la RDP (revue de droit publique) [2] qui avait publié en 1940 un commentaire positiviste, donc sans aucune critique, des lois assassines de l’Etat français, [3], lois qui reniaient toute la grandeur de la France, publie un article tout à fait positif du jugement .

  1. Ces articles de droit renferment la même erreur : le « jugement » est promu en « arrêt » ! Le terme d’arrêt désigne normalement une décision au minimum d’appel. On parle d’ailleurs d’arrêt de principe et non de jugement de principe.

Les administrativistes ne se sont pas trompés, le jugement de Toulouse est un grand arrêt non seulement par sa portée historique, mais aussi par sa qualité juridique et la force de son raisonnement.

  1. La Cour d’appel nous avait donné 2 mois pour répondre au mémoire de la SNCF, puis 1 mois à la SCNF pour répondre aux 100 pages du magnifique mémoire de Rémi, à la quelle la Cour d’appel avait accordé un mois supplémentaire.

En même temps que la date d’audience, Rémi vient de recevoir le mémoire en réplique de la SNCF, la cour d’appel lui indique « qu’il doit produire dans les meilleurs délais », ce qui en langage de droit administratif veut dire que le juge rapporteur estime qu’il n’y a rien d’important à répondre. Rémi écrit une petite réponse, toutefois, je vous rassure : aucun ordre de réquisition n’existe.

  1. La SNCF a peur : elle avait sous-estimé Rémi et ses qualités de grand juriste administratif. La SNCF avait pensé qu’elle gagnerait haut la main comme elle avait gagné à New-York ou à Paris, devant la Cour civile d’appel. Ce mépris vient aussi sans doute de ce que Rémi ne cherche pas à se montrer mais à faire ce qui est pour lui un plaisir intellectuel, le droit administratif et uniquement cela, loin de toute médiatisation, même lorsqu’il est le premier à avoir gagné le droit à la retraite pour les fonctionnaires-hommes ayant trois enfants et 15 ans de service public.

La qualité des arguments de première instance, confortée par le mémoire produit en appel a obligé la SNCF à prendre un second avocat, au côté de l’avocat de première instance. Cet avocat est un ancien professeur de droit constitutionnel, un peu plus pertinent en droit administratif que leur premier avocat... Mais les arguments ne sont pas différents, sauf sur la statut de la jurisprudence, argument auquel Rémi répondra. En gros, l’argument de l’adversaire est de dire : « le TA s’est trompé en affirmant qu’avant l’arrêt Pelletier, la jurisprudence empêchait toute recherche en responsabilité car jurisprudence n’est pas loi ». Je vous laisse découvrir la réponse de Rémi (moi je sais...) dans le mémoire dès que celui-ci sera en ligne. Mais ce n’est pas un argument très pertinent.

Encore une fois, quand une affaire est pourrie, la qualité de l’avocat ne la rend pas meilleure !

Des signes mais pas de certitude

Bref, nous allons encore gagner : je le crois, je le pense, je l’espère, mais en même je suis inquiète car si nous perdions, si Papa avait eu tort de faire confiance en Rémi, quelle déception pour nous. Alain et moi en prendrons encore une fois plein la gueule, nos détracteurs qui sont d’abord, mais ils ne l’ont pas compris ceux de Papa, se réjouiront... mais bon encore un blog triste pour Alain

Mais ceux qui ont repris confiance dans la Justice française, ceux qui croient qu’enfin leur douleur va être reconnue, qu’enfin ils seront LA victime à qui le droit de se plaindre sera reconnue et non UNE victime d’une masse de déportés, quelle gifle ils prendraient... c’est pour eux que j’ai peur. C’est pour tous ceux, internés, déportés, enfants de déportés, orphelins, juifs mais aussi communistes, tziganes, espagnols que j’ai peur.

Comme je l’ai dès le début écrit, dit sur toutes les chaînes de radio, de télé, à toutes la presse qui l’a rarement voire jamais repris, ce n’est pas un procès pour les LIPIETZ, c’est un procès pour les victimes, c’est un procès pour les larmes de Papa et pour les enfants qui l’ont habité jusqu’à la fin de sa vie.

Pourvu qu’on ne perde pas, sinon les enfants seront morts une deuxième fois.

une date d’audience si proche, trop proche ?

Parfois, je me dis aussi qu’une date d’audience si proche, c’est parce que nous avons perdu et que la Cour administrative d’appel va réformer le jugement de première instance, pour empêcher d’autres procès et l’encombrement des tribunaux administratifs sous une masse d’affaires de même type, rarement, voire jamais, connue en droit administratif.

Mais non, il y a plein de raisons qui font que l’audiencement a été si rapide :

  1. Tout simplement être pour statuer sur des points qui vont permettre aux juridictions de première instance saisies des autres litiges d’être mieux informées... peut-être même statuer sur la complicité de crime contre l’Humanité (là ce serait vraiment une victoire incroyable)
  1. Ensuite parce que 5 ans et demi en première instance, pour une affaire simple, disons pas si compliquée en droit, avec une application classique du droit, hors période d’exeption que fut l’après guerre, c’est trop, beaucoup trop. Si nous voulions, nous pourrions demander des dommages et intérêts pour lenteur de la Justice et ce, même si la Cour d’appel nous donne tort.

Le Conseil d’Etat connaît bien ce problème et les Cours administratives d’appel ont pour mission de réparer de telles lenteurs. En statuant aussi rapidement, la Cour d’appel de Bordeaux, permettra que l’affaire ait été jugée au fond en 7 ans, c’est beaucoup, mais les dommages et intérêts que nous pourrions exiger seraient moindre...

Je vais décevoir les antisémites, notamment juifs !, persuadés que l’affaire LIPIETZ n’est qu’une affaire de gros sous, je ne demanderai pas de dommages et intérêts pour lenteur de la Justice, car je suis bien consciente que le jugement n’est pas seulement un jugement mais est aussi une remise en cause intellectuelle du rôle du juge administratif à la sortie de la guerre... difficile à assumer.

Et pourtant que j’en veux à cette justice d’avoir été lente au point que Papa n’a pas vu son triomphe et que nous sommes aujourd’hui obligés de prendre sur nos épaules un combat qui n’est pas le nôtre [4] !

  1. enfin et surtout, il y a toujours un survivant, un dernier témoin, âgé de 16 ans lors de cette horreur : notre oncle Guy et il ne faut pas qu’il disparaisse lui-aussi avant que Justice soit dite...

Donc, cet audiencement en urgence ne saurait être interprété comme une présomption de victoire de la SNCF.

De toute façon l’Etat n’a pas fait appel

A force de toujours parler de la SNCF, j’oubliais de rappeler que nous avons gagné contre l’Etat français et que celui-ci n’a pas fait appel... donc la jurisprudence LIPIETZ, au moins, aura permis que les victimes de l’Etat français soient indemnisées... D’ailleurs, tous les internés et déportés n’ont pas été transportés, dans le territoire français, via la SNCF, il y a eu des transports en France par camions ou bus, eux souvent réquisitionnés.

Car encore une fois, la jurisprudence lipietz/SNCF, c’est uniquement pour les transports vers les camps d’internement et non vers les camps de la mort.

Et si nous perdons ce ne peut être au fond

Faut-il rappeler que la SNCF, devant la Cour d’appel civile de Paris n’a gagné que sur la prescription et non sur le fond : Oui la SNCF a bien été coupable des conditions immondes de transfert.

D’ailleurs, l’ex-secrétaire de la SNCF, celui qui reconnaît « qu’aujourd’hui comme hier, la SNCF fait rouler des trains », même avec des êtres humains enfermés sans eau, dans des wagons à bestiaux , l’a reconnu dans un numéro de « Actualité Juive » [5], obligeamment produit par la SNCF dans son mémoire en réplique « on est dans le cadre de la bureaucratie inhumaine.  »

Il faut que demain il n’y ait plus de bureaucratie inhumaine ! Puisse ce procès y aider, la condamnation non symbolique permettra peut-être aux bureaucrates de demain de réfléchir avant d’accepter l’inacceptable !

Donc si nous perdons, ce sera sur la prescription ou sur la compétence mais pas sur le fond !

Un marathon

Donc, l’audience est dans 3 semaines... reste donc à prévenir la presse .

Il faut aussi trouver un lieu pour la conférence de presse après procès, car il n’est pas possible, comme en juin à Toulouse, de la tenir sur le seuil du tribunal au soleil...

Il va aussi falloir gérer la com et ne pas oublier mon téléphone portable, mon cher frère indiquant toujours aux journalistes que je suis allergique à cet outil... il est mauvaise langue, je n’aime pas être sifflée, c’est tout .

Bref... des semaines occupées pour ne pas penser au risque d’échec partiel.

Notes

[1AJDA41/2006, pages 2292 et suivantes, commentaire de Philippe CHRESTIA

[2RDP 2006-6, page1715 et suivantes, note Jean-Charles JOBART

[3Il ne semble plus possible d’acheter le recueil des « juifs sous l’occupation, textes officiels français et allemands 1940/1944 », publié par le centre de documentation juive contemporaine, et voila une partie de la mémoire qui disparaît...mais je me trompes peut-être

[4Maïeul a très bien décrit l’ambiance familiale

[5N ° 946 du 7 septembre 2006

Forum

2 Messages

  • Il me semblait l’arrêt Pelletier ne concernait que la responsabilité de l’Etat, dont il n’est plus question en appel. En revanche, en ce qui concerne la SNCF le point de départ de la prescription décennale est la publication du rapport Bachelier. je n’ai pas compris ou j’ai raté un épisode ?

  • Incroyable... la date d’audience est connue ! date forum, par Hélène Lipietz

    Sur l’arrêt Pelletier : C’st le premier arrêt qui dit qu’il est possible aux victimes de rechercher la responsabilité de l’Etat dans les conditions de droit commun.

    L’Etat est un personne morale de droit public tout comme la SNCF... donc cela doit s’appliquer à la SNCF !

    Mais il s’agit d’un arrêt sur un Recours en excés de pouvoir, un recours sur la légalité.

    L’arrêt Papon met en oeuvre ce revirement de jurisprudence pour une demande indemnitaire...

    Quand à la date de publication du rapport BACHELIER... la discussion semble close puisque le comm du Gouve hier, 30 janvier a déclaré que mon père savait dés 1944 qu’il pouvait chercher la responsabilité de la SNCF et donc qu’il était prescrit... enfin encore 15 jours à attendre