Rencontre avec l’ensemblier AIPI-EIREL-AGIL

mercredi 4 septembre 2013, par Hélène Lipietz, Emmanuelle Orvain

J’ai eu le plaisir de rencontrer l’ensemblier AIPI-EIREL-AGIL* vendredi 26 juillet à Verneuil l’Etang. C’est dans une grande salle de réunion réalisée par des personnes en insertion que nous avons discuté avec Mme Le Pleux, Directrice d’AIPI, d’AGIL et Directrice Financière d’EIREL, rejointe un peu plus tard par M. Alain Copart, Président du Conseil d’Administration d’EIREL et membre du bureau d’AIPI.

*AIPI : Ateliers pour l’Initiation, la Production et l’Insertion EIREL : Entreprise d’Insertion, de Rénovation et d’Entretien des Logements AGIL : Association de Gestion pour l’Insertion par le Logement

Voir en ligne : Quelques informations complémentaires au sujet d’AIPI

Organisation complexe pour une action complète

AIPI est un bailleur très social mais aussi la structure porteuse de l’ensemblier regroupant trois associations AIPI, EIREL et AGIL. EIREL, seule entreprise d’insertion du Bâtiment en Seine-et-Marne, exécute les travaux de réhabilitation sur les bâtiments pris en bail à réhabilitation par AIPI. AGIL est en charge de la gestion du patrimoine détenu par AIPI ainsi que de l’accompagnement des locataires : entrée, suivi, sortie des occupants, partenariats externes...

Alain Copart, Véronique Le Pleux et moi-même dans la belle salle de réunion

AIPI en détails

AIPI est une association de loi 1901, créée depuis 20 ans et qui a pour objectif de répondre aux besoins sociaux fondamentaux : l’accès au logement et à un travail, car « sans travail, pas de logement » et souvent aussi "pas de logement, pas de travail". AIPI mène ainsi sa mission d’insertion par le logement et l’activité économique.

AIPI intervient comme un opérateur départemental et fait appel aux communes pour connaître leurs besoins en logements sociaux. C’est à ce titre qu’elle a signé une convention de Maîtrise d’Ouvrage Urbaine et Sociale (MOUS) avec l’Etat.

AIPI en actions

L’association intervient dans le cadre d’une rénovation d’un bien communal à l’abandon afin de le transformer en logements très sociaux. Ceci se fait notamment grâce au Bail à Réhabilitation (BAR). Le BAR est un dispositif législatif servant à réhabiliter un local, un immeuble ou plus généralement un bâtiment pour y créer des logements.

Ce BAR dure entre 15 et 35 ans. AIPI propose une durée, prenant en compte son équilibre financier, souvent estimée à 20 ans. L’opération est financée par l’ANAH, le Conseil Général, le Conseil Régional, la Fondation Abbé Pierre, Procilia et finalisée par un prêt complémentaire.

Les opérations de réhabilitation deviennent de plus en plus complexes et les contraintes se font de plus en plus fortes (demande de nombreux diagnostics et études, labellisation »¦), engendrant des coûts plus importants. AIPI demande donc à présent aux communes d’intervenir dans le financement d’une partie de l’opération. Ces contraintes ont freiné la production de logements d’AIPI en 2012, soulignant les conséquences dommageables que cela a sur des ménages en ayant besoin. Chaque année, l’association doit donc se battre pour obtenir des financements.

De plus, la démarche de réalisation d’un parc de logements très sociaux représente souvent une difficulté pour les maires qui voient arriver une population venue de l’extérieur, souvent stigmatisée et véhiculant de nombreux clichés. Un travail de sensibilisation et de lutte contre les préjugés est à mener auprès des élus. Plusieurs arguments les rassurent souvent :
  L’attribution des logements se fait via la Commission Locale de Concertation qui siège à la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), sauf pour les premiers locataires.
  AIPI peut, grâce à AGIL, intervenir dans la gestion locative et l’accompagnement vers l’insertion sociale via l’habitat.
  La réhabilitation des lieux se fait toujours dans le respect de l’esprit du patrimoine architectural de la commune.

L’une des plus grandes difficultés pour AIPI est ce que la direction appelle « le gage d’insertion ». Il peut s’agir de mobilité, par exemple, frein connu et reconnu dans le département seine-et-marnais. Ceci allant de pair avec une facilité d’accès de certains lieux publics d’éducation ou de soins (écoles, hôpitaux »¦) afin de favoriser une insertion globale des foyers ayant recours aux solutions d’AIPI. L’objectif affirmé d’AIPI est d’emmener les locataires vers le logement social classique.

Actuellement AIPI-AGIL gèrent 93 logements (dont trois sous-location) répartis sur 24 communes. Divers projets à Cannes-Ecluse, Forges ou Bois-le-Roi sont en cours d’étude.

La Lutte contre l’habitat indigne

De par sa vocation sociale et son contact quotidien avec des publics en difficultés, AIPI a toujours été confrontée au problème de l’indignité dans le logement. C’est donc naturellement, dès la création de l’association, qu’un partenariat s’est construit avec la Fondation Abbé Pierre. Lorsque la Fondation Abbé Pierre a lancé le programme SOS Taudis en 2007, elle a demandé à AIPI d’être son opérateur pour le département de la Seine-et-Marne. Plusieurs partenariat ont ainsi vu le jour : avec la Maison Des Solidarités (MDS) de Tournan-en-Brie, l’Agence Régionale de Santé, la CAF et la MSA de Seine-et-Marne. AIPI participe à une action « accompagnement sanitaire et social des populations vivant en habitat insalubre », une action « lutte contre les logements non décents » sur la commune de Fontainebleau avec l’antenne locale de la CAF. Enfin, la DDCS a proposé à AIPI d’être son opérateur dans le cadre du Droit Au Logement Opposable (DALO). Si un ménage dépose un dossier DALO avec comme motif l’insalubrité, la non-décence ou la sur-occupation, AIPI effectue une visite à domicile, puis rédige un rapport de visite qui aidera la commission de médiation à statuer sur le dossier. Forte de toutes ces actions et de ces partenariats, AIPI a proposé la mise en place d’une MOUS Habitat Indigne sur le département avec la participation de l’ARS, la DDT, la DDCS, la CAF, la MSA, le Conseil Général »¦

AIPI est également porteur de trois chantiers d’insertion occupant des personnes très éloignées de l’emploi.

AIPI tente ainsi de remobiliser au travail des personnes en situation d’endettement, de problèmes juridiques, de dépendance à l’alcool ou à la drogue, d’illettrisme, »¦ Afin de lever les freins pour continuer voire commencer leur vie active de façon pérenne.
  Chantier tous corps d’Etat (agrément pour 11 postes), au Mée-sur-Seine, avec une ouverture récente sur Voisenon et Rubelles.
  Atelier bois (agrément pour 6 postes) à Verneuil l’Etang. Le personnel dispose d’un local de 120m ² et de 4 nouvelles machines. Cet atelier est voué à faire des chalets, du mobilier urbain ou des meubles à destination des particuliers. Suite à un investissement de 60 000€, l’atelier menuiserie fonctionne comme une entreprise lambda, sauf qu’elle est au service de l’insertion avec donc une productivité différente.
  Chantier Entretien courant du patrimoine (agrément pour 6 postes) en partenariat avec la SNCF et Chantier école. Cet atelier a permis la réhabilitation de la Gare de Provins, tout en valorisant le travail des personnes en insertion et le métier d’un artisan mosaïste provinois, venu en soutien.

Dans le cadre de ces chantiers , AIPI travaille avec le Centre de Formation et d’Apprentissage (CFA) de Nangis pour permettre à plusieurs personnes d’être formées aux métiers du bois et sur le chantier Entretien du Patrimoine pour que d’autres décrochent un Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) sur les métiers de finition. AIPI fait appel à des associations reconnues Accompagnement Vers l’Emploi (AVE) et à Pôle Emploi pour le recrutement. Ces associations permettent de faire le lien avec AIPI, de poser un cadre de travail et ainsi de gagner en efficacité.

Les chantiers d’insertion passent par des conventions avec les collectivités locales car l’association n’est pas sur le marché concurrentiel, puisqu’elle bénéficie d’un financement étatique. Les chantiers se situent sur des biens publics ou d’utilité sociale. Les équipes d’encadrement travaillent particulièrement sur le savoir-être pendant la première période du contrat et le savoir-faire pendant les mois restants sachant que les contrats sont conclus pour 24 mois maximum. Afin d’être aidée à soulever les différents freins, AIPI aimerait trouver un(e) psychologue bénévole pour l’équipe et le personnel, donc amis lecteurs si vous avez envie...

AGIL, la gestion patrimoniale d’AIPI

AGIL gère le patrimoine d’AIPI et effectue l’accompagnement individuel de proximité des locataires et des partenaires. AGIL travaille avec le relais citoyen, ainsi qu’avec d’autres partenaires sociaux pour lever les freins des plus démunis (prise en compte de critères de revenus pour les logements très sociaux). AGIL a également la charge du suivi social, incluant les notions de savoir habiter : entretenir son logement, accepter la vie communautaire, savoir payer un loyer »“ aussi symbolique soit-il »“ constituer un dossier pour les Aides Pour le Logement (APL)

Rares sont les cas d’expulsion, car ce n’est pas dans la politique de la maison, mais cela arrive, même si cela demande d’effectuer un nombre incalculable de démarches. AGIL renvoie ses locataires aux droits et devoirs à respecter. Mais il y a aussi de nombreux cas de réussites et des habitants qui se tournent vers un logement social classique après être passé par un logement AIPI.

Dernière structure créée : EIREL

Quatre ans après AIPI, EIREL se voit confier les missions de construction et réhabilitation. L’entreprise est aidée par l’Etat sur les Contrats à Durée Déterminée d’Insertion (CDDI). L’aide au poste s’élève à 9 681€ par an par personne depuis 12 ans : le montant n’a pas changé. Il relève de l’entreprise de faire du chiffre d’affaire et donc de répondre à tous les marchés, partout en France.

La principale difficulté est de parvenir à lier l’insertion sociale par le travail et le modèle économique d’une entreprise du bâtiment conventionnelle. EIREL rencontre des soucis par rapport aux marges sur les chantiers et a également un problème de définition des prix, ce qui est souvent le cas dans les entreprises d’insertion.

EIREL compte 12 postes d’insertion actuellement et n’a pas la même productivité qu’une entreprise classique, malgré des contraintes identiques (responsabilité décennale, équipe technique, matériel, normes).

Lorsqu’on confie un chantier à une assoc d’insertion, il faut en être conscient. Depuis plus de 20 ans que je suis propriétaire à Melun, j’ai toujours confié les gros travaux d’amélioration de ma maison à des assoc : d’abord avec l’AJCV de Cesson, Ils font maintenant que du brochage et du jardinage une des toutes premières en Seine-et-Marne, puis à EIREL, en passant par une autre assoc d’insertion pour ma permanence... Les délais sont rarement tenus et il est souvent nécessaire d’insister pour que la finition soit correcte... Mais pour avoir fait faire aussi les travaux de ma (future) maison (de retraite) du Morvan à des professionnels, 5 corps de métiers différents, je ne suis pas sûre que tous les prétendus professionnels soient meilleurs que les associations d’insertion auxquelles ils reprochent une prétendue concurrence faussée par les subvention : la qualité du travail des associations comme celles des artisans dépend de l’encadrement. si le chef de chantier ou l’artisan sont présents sur le chantier et surtout savent qu’un chantier doit être rendu "propre", la qualité du travail est la même sauf exigences très pointues, je pense au travail du menuisier , Joël Tissier, qui a complété notre parquet de chêne abimé par des années sous une moquette, son compagnon n’avait jamais autant appris qu’avec lui jusque dans les détails de la pose en biais sous la plainte ! Qui peut savoir un telle finition, cachée aux regards du donneur d’ordre...

Franchement la seule différence est la durée du chantier, souvent inconnue avec les assoc d’insertion... et la nécessité d’être présents pour vérifier la bonne compréhension des désirs... C’est pourquoi d’ailleurs, nous n’avons pas confié la rénovation de notre maison morvandelle à une assoc d’insertion, car nous avions besoin de la mettre en location le plus vite possible pour ne pas avoir trop de frais ... Mais lorsqu’on est présent et qu’on a le temps, il faut faire confiance à ces assoc et leur donner du travail.

Se pose donc la question de la qualité de l’encadrement : il faut des encadrants professionnels extrêmement rigoureux, en phase à 100% avec la direction. « C’est si épuisant qu’il faudrait pouvoir envoyer les encadrants dans une autre entreprise le temps de reprendre leur souffle et ensuite se retrouver à nouveau confrontés aux problèmes du quotidien en lien avec la vie professionnelle et souvent à la vie privée des personnes en insertion. » m’a livré Madame Le Pleux.

L’équipe dédiée à l’encadrement est constamment sollicitée sur des notions de savoir-être et de savoir-faire, elle doit parvenir à ses fins en conservant une bonne entente entre les intervenants en insertion sur le chantier, ce qui n’est pas toujours le cas.

EIREL constitue un outil clef pour remporter des marchés publics grâce aux clauses d’insertion, mais malheureusement les commanditaires sont plus regardants sur les prix pratiqués que sur la définition même de la clause qui a pour but de promouvoir l’insertion. Ainsi peuvent être considérer comme répondant aux critères d’insertion des sociétés d’intérim qui n’ont pas le même soucis d’accompagnement...

Aperçu de la salle de réunion, très bien conçue

Quel avenir pour le trio AIPI-AGIL-EIREL ?

L’entreprise EIREL avait beaucoup de difficultés à supporter les charges salariales lourdes et a failli déposer le bilan début 2013 suite au constat qu’à chaque tentative de développement de postes d’insertion (réduits de 16 à 12 en un an), les résultats escomptés apparaissaient en dents de scie au lieu d’être constants. Le Conseil d’Administration s’est mobilisé pour trouver des partenaires suite à la procédure d’alerte du Commissaire aux comptes. C’est ainsi que l’ensemblier est adossé au Groupe SOSdepuis le 17 juillet 2013, dont j’ai eu, jadis à accompagner les efforts de développement dans le cadre de mon métier d’avocate... le monde de ceux qui s’occupent des autres est vraiment petit, hélas :-(.

Le Conseil d’Administration a donc démissionné, restent le Président de l’ancien Conseil d’Administration, Alain Copart, pour l’entreprise EIREL et Daniel Pattin pour AIPI-AGIL.

Les attentes sont donc nombreuses aux vues de ce récent partenariat
  Trouver un nouvel élan
  Parvenir à se restructurer en mutualisant des postes
  Réétudier en profondeur le modèle économique pour qu’il soit viable sur le long terme
  Regrouper les deux structures pour équilibrer l’insertion et l’économie
  Tenter de recruter plus de bénévoles en créant un engouement autour des actions AIPI-EIREL
  Actualiser les outils de gestion en utilisant les versions améliorées dont dispose déjà le Groupe SOS.

Aujourd’hui, le contexte économique et social change, ce qui demande une forte flexibilité de l’ensemblier dans le temps. Malgré un constat de plus en plus frappant de crise sociale, AIPI-EIREL a permis à 500 personnes de retrouver une stabilité de vie et un équilibre grâce à un logement et un travail en 20 ans d’existence. Ce travail incroyable de fourmis a dégagé 60% de sorties positives, ce qui est très encourageant ! Et même si ce n’est pas le même type d’insertion en milieu rural et en milieu urbain - parce qu’il est plus facile de trouver un travail en milieu urbain - la vocation d’AIPI-EIREL est d’agir et de participer à des projets sur le territoire avec un solide réseau de partenaires institutionnels et associatifs locaux en espérant que des particuliers, qui ont des chantiers différents, leur fassent aussi confiance... et ils peuvent le faire

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