REPONSE DE REMI ROUQUETTE
Mon confrère Klarsfeld publie dans le Monde du 3 juin 2006 un article parlant du procès mené par Georges Lipietz devant le tribunal administratif de Toulouse.
Manifestement, il se permet de parler d’un procès sans en connaître les données essentielles, pourtant largement disponibles sur les sites internet. Je crois donc nécessaire, comme avocat de Georges Lipietz, de corriger quelques contre-vérités.
Contrairement à ce qu’il écrit, ce ne sont pas les ayants droits de Georges Lipietz qui ont formé l’action. C’est Georges Lipietz qui a demandé des dommages et intérêts et ses ayants droits qui ont repris l’instance à son décès. Et ce n’est pas une plainte, mon confrère ne pouvant ignorer que la notion de « plainte » est un concept propre au droit pénal, et que le procès de Toulouse est administratif.
Le procès n’est pas davantage dirigé contre les cheminots mais contre la SNCF et contre l’État. Mais maître Klarsfeld fait semblant de ne pas connaître le concept de personne morale.
Loin de souiller la mémoire des cheminots, ma plaidoirie leur a rendu hommage. Mon confrère Klarsfeld n’a pas dû la lire (elle est pourtant disponible sur plusieurs sites internet). Mais la mémoire des cheminots n’a rien à avoir avec la responsabilité de la personne morale SNCF, qui par cupidité autant que par antisémitisme n’a pas utilisé la marge d’autonomie dont elle disposait et qu’elle n’hésitait pas à utiliser dans l’intérêt du service. On verra mardi prochain si le Tribunal considère que la SNCF n’avait aucune marge d’autonomie.
Il n’a jamais été soutenu que la SNCF a été payée par les nazis, mais par l’État français et les factures retrouvées par M. Kurt Werner Schaechter ont été produites, tout comme les extraits du rapport historique Bachelier, commandé par la SNCF, qui dit la même chose. Du reste, Monsieur Serge Klarsfeld avait indiqué que la SNCF avait manqué de délicatesse.
Me Klarsfeld nous parle de responsabilité pénale, mais le procès est une action en réparation administrative pour des fautes de service, qui ont hélas participé à la commission de ce crime. Il est donc inutile d’argumenter pour soutenir que la secrétaire qui tapait les listes ou les gendarmes ou les cheminots ont commis ce crime contre l’Humanité, parce que cela n’a jamais été soutenu dans le procès de Toulouse. Le procès reproche à l’État et à la SNCF d’avoir fait preuve d’un zèle afin de favoriser l’entreprise criminelle des nazis et de Vichy, le tribunal ne jugera pas de la criminalité de l’État et de la SNCF : il se bornera à dire si ces faits étaient ou non des fautes de service J’ajoute que Georges Lipietz s’était constitué partie civile contre Aloïs Brunner devant le juge d’instruction mais la procédure de jugement par contumace ne prévoit pas l’audition des parties civiles.
Le procès administratif, qui ne suppose pas d’identifier un coupable et n’a pas cet objet était le seul possible. Mais le faire était aussi marquer que la responsabilité pénale des organisations criminelles par essence, n’exclut en rien la responsabilité des machines bureaucratiques.
Leurs fautes ont été éclipsées par celles atrocement lourdes des criminels que cite mon confrère. Contrairement à celles des plus grands criminels, elles n’avaient jamais été jugées, parce que jusqu’à 2002, la justice administrative française refusait de condamner l’État pour les préjudices résultant de l’application des lois raciales de Vichy.
Ce refus, au nom de la grandeur de la France résistante a laissé les victimes dans l’oubli.
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