Le mot scandale est un bien grand mot, qui englobe bien des aspects.
Même si le scandale politique remonte à la nuit des temps, sa perception, quant à elle, change, si bien que ce qui nous parait aujourd’hui scandaleux peut avoir été perçu comme un événement acceptable, voire normal.
Les membres de la famille royale, en Égypte, au temps des pharaons, à l’instar de leurs dieux, ne pratiquaient-ils pas couramment l’inceste ?
N’était-ce pas scandaleux lorsque, dans le récit biblique, le roi David, a fait tuer l’époux de la femme qu’il convoitait et avec qui il avait pratiqué l’adultère ?
Le scandale a toujours fait parti de notre histoire car l’opinion publique a toujours existé, qu’elle ait été exprimée ou non.
Ainsi de l’antiquité à l’époque contemporaine en passant par le Moyen-à‚ge, il est possible de dresser une liste, non négligeable, de scandales politiques ; nous nous contenterons, cependant, de n’en citer que quelques-un.
Quand le peuple réclame réparation
Verrès contre Cicéron
Commençons par l’Antiquité, lorsque, en 70 avant notre ère a lieu le procès de Verrès face au grand orateur Cicéron.
C’est en -84 que Verrès, élu questeur, fait ses grands débuts dans la corruption et les malversations.
Avec les autres questeurs, il a la charge de la gestion des finances de la République. Il détourne, à son profit, une partie des fonds de l’armée et s’enfuit.
En -80, il parvient à être élu légat du propréteur de Cilicie, une province d’Asie mineure où il s’accapare de nombreuses richesses : des trésors du Parthénon [1] aux statues du sanctuaire d’Apollon, en passant par les tableaux offerts à la déesse Junon.
De retour à Rome, il est élu préteur urbain en -74. En tant que tel, il a la direction des tribunaux de la capitale. Il s’arrange pour truquer les dossiers qu’on lui soumet et vend même le verdict des procès.
Mais il ne s’arrête pas là . En -73, alors qu’il est choisi comme propréteur de Sicile, il accumule les exactions : corruption, malversations, détournements de fonds, procès truqués, élections arrangées, perceptions frauduleuses du produit des impôts. Il semblerait que tous les moyens sont bon pour s’en mettre plein les poches !
Les Siciliens déposent une plainte contre lui en -71 et font appel à Cicéron pour les défendre.
Lors de son procès, qui débute à Rome en -70, Cicéron parvient à obtenir de nombreux témoignages qui l’accablent. Il s’enfuit donc à Marseille, où il vit jusqu’en -43, date à laquelle il meurt après avoir été proscrit par Marc-Antoine.
Faisons désormais un bond de quelques siècles, jusqu’en Arabie, où un scandale d’une autre ampleur a vu le jour.
Assassinat du calife Othman ben Affan
Nous sommes désormais au VIIe siècle après Jésus-Christ, dans un empire qui connaît une expansion de plus en plus importante.
C’est sous le califat du 3e calife de l’empire arabo-musulman, Othman ben Affan, qu’éclate une affaire qui fragilisera l’Empire.
En effet, on accuse les gouverneurs mis en place par le calife dans certaines provinces, d’être à l’origine de nombreuses injustices envers le peuple. Alors que le calife affirme avoir mené une enquête qui n’a permis en aucun cas d’incriminer ses gouverneurs, un groupe de rebelles, qui lui reproche également de favoriser, financièrement notamment, les membres de son clan, l’assassinent le 17 juin 656, après le siège de sa demeure.
Aucun document ne permet d’infirmer ou de confirmer ces accusations mais l’essentiel ici est que quelle que soit la culture, quel que soit le régime politique, l’argent demeure un point sensible entre le pouvoir politique et le peuple.
République et argent sale
Les scandales qui ont marqué l’époque contemporaine sont de loin ceux qui sont les plus évocateurs à nos yeux et ceux auxquels on fait le plus souvent référence, lorsqu’il s’agit de remonter dans le temps et de rouvrir les vieux dossiers.
Avec les Lumières, l’opinion du peuple change. Avec l’avènement de la République et surtout de la démocratie, elle devient centrale, si bien qu’il nous est plus facile de comprendre et d’avoir des traces de scandales ayant vu le jour dans un contexte proche du notre.
Le scandale des décorations
Si on devait retenir un scandale qui a eu lieu sous la IIIe République, ce pourrait être le scandale des décorations qui a contraint le président Jules Grévy, le 2 décembre 1887, à démissionner sous la pression du peuple.
Son gendre, Daniel Wilson, installé au palais présidentiel, aurait abusé de sa position en procédant à un véritable trafic de Légions d’honneur et de grâces présidentielles.
Protégé par son immunité parlementaire, il continue à siéger à l’hémicycle et, bien qu’il est condamné en 1888, il est acquitté en Cour d’Appel car, contrairement à aujourd’hui, aucune loi à l’époque ne punit le trafic d’influence.
Il sera réélu en 1893 puis en 1896.
Le trafic des piastres
La IVe République n’a pas non plus été épargnée lorsqu’elle a vu éclater le scandale du trafic des piastres, en pleine guerre d’Indochine.
La différence des cours de la piastre [2] en France et en Indochine avait permis à certains hommes politiques, à des hommes d’affaires et à des fonctionnaires de l’office des changes, corrompus, de s’enrichir au détriment du Trésor public français, en procédant à des transferts de fonds par le biais de fausses exportations, de fausses factures ou de surfacturations.
Dès 1950, l’affaire est dénoncée par les communistes à l’Assemblée nationale. Toutefois, c’est en 1953 que l’affaire est révélée au grand jour par Jacques Despuech, ancien fonctionnaire de l’office indochinois des changes, qui publie un ouvrage dans lequel il dénonce l’inaction et la corruption des gouvernements face à ce trafic. [3] Et, le 2 juillet 1953, l’Assemblée nationale vote à l’unanimité la constitution d’une commission d’enquête sur ce trafic dont le rapport est publié en 1954. [4]
La Ve République n’a rien à envier à ses aînées puisqu’elle a, elle aussi, eu son lot de scandales.
L’affaire Cahuzac, l’affaire Bettencourt ou plus ancien l’affaire de la Garantie foncière.
Le scandale de la Garantie foncière
La Garantie foncière est une SCPI [5] créée par Robert Frenkel en 1967. Elle permet aux citoyens d’investir dans des biens immobiliers dont les fruits de la location leurs seront reversés sous forme d’intérêts. Ces intérêts sont payés avec l’argent qu’apportent les nouveaux souscripteurs, sur le principe d’une chaîne de Ponzi. [6]
Mais bientôt, les fonds entrants ne suffisent pas à payer les épargnants, et la Commission des Opérations de Bourse, qui suspecte un tel procédé, lui interdit, le 5 juillet 1971, de solliciter l’épargne par voie d’annonce publicitaire.
André Rives-Henrà¿s, député de Paris et militant gaulliste, est également impliqué dans l’affaire. Ce dernier sera inculpé le 19 juillet pour escroquerie, abus de confiance et abus de biens sociaux, et condamné à 30 mois de prison.
Les époux Frenkel sont également condamnés pour avoir détourné près de 32 millions de francs pour leur compte.
Tous ces scandales nous montrent la nécessité de recourir à plus de transparence financière dans la vie politique de nos élus.
Les représentants politiques dans nos démocraties ne sont pas intouchables, du moins ils ne devraient pas l’être, et à ce titre, ils doivent rendre des comptes.