considérations générales
D’abord le Commissaire du Gouvernement a rappelé que ce n’était pas des individus qui étaient jugés mais des institutions : nul ne peut savoir ce qu’il aurait fait en ces années noires. Mais il affirme de suite qu’il va être obligé de mettre en cause l’Etat, la juridiction administrative, mais aussi la SNCF dans des termes durs.
compétence du tribunal administratif pour juger la SNCF
Il est évident que la SNCF a transporté les Juifs contre leur volonté, qu’ils n’étaient donc pas des usagers de l’établissement public, c’est pourquoi la compétence est administrative, même si le juge civil de la cour d’appel de Paris a accepté de se considérer comme compétent car son incompétence n’avait pas été soulevée.
préjudice des requérants décédés
Les préjudices de Stéphanie et de Jacques (mes grands-parents), aujourd’hui décédés, sont rentrés dans le patrimoine de leurs enfants, Georges Lipietz et Guy S. Le C de G a indiqué que le principe du préjudice pour faute de service était acquis : les lois de Vichy sont contraires aux principes républicains et les conditions de transports inhumaines.
Le C du G a considéré que l’imprescriptibilité des crimes contre l’Humanité ne pouvait être retenue car il n’appartient pas à la juridiction administrative de déterminer ce qui relève du crime contre l’Humanité mais uniquement au juge pénal.
Durée de la prescription
Puis il s’est appliqué à déterminer le régime de la prescription : est-ce une déchéance quadriennale, décennale ou trentenaire ?
La prescription est quadriennale pour l’Etat (donc 4 années budgétaires pleines), pour la SNCF pour laquelle n’existe pas de prescription quadriennale, elle est décennale.
point de départ de la prescription
Reste à déterminer le point de départ de la prescription : ce point de départ est être déterminé par rapport à la possibilité pour les requérants de faire utilement valoir leur droit en justice, à travers une action en annulation.
Or, il est évident que, compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat durant la guerre, les Requérants n’auraient pu faire annuler la décision d’internement : en effet, le Conseil d’Etat appliquait de manière extrêmement rigoureuses les actes dit « lois de Vichy » et retenait que la simple présomption de judaïté justifiait l’internement prévus par ces lois.
Donc les requérants ne pouvaient avec une chance raisonnable de succès intenter un recours contre la décision d’internement.
la négation de la continuité de l’Etat
A la Libération, l’ordonnance du 9 novembre 1944, portant rétablissement de la légalité républicaine, pouvait permettre d’espérer une possibilité de demander réparation. Mais l’interprétation gaullienne qu’en a fait le Conseil d’Etat, niant la continuité juridique de l’Etat français et de la République, avec une argumentation juridique façonnée par René CASSIN, a fermé pour de longues décennies aux victimes de Vichy, quelle que soit la cause de leur préjudice, tout espoir de réparation, même lorsque l’introduction de la requête avait été faite pendant la guerre.
Le C du G a précisé que le Conseil d’Etat pour balayer tout recours s’est borné à motiver ces arrêts par « compte tenu du rétablissement de la légalité républicaine, il n’y a pas lieu à statuer ».
Le revirement de jurisprudence
Il a fallu attendre l’arrêt Pelletier confirmé par l’arrêt Papon pour que le Conseil d’Etat revienne sur cette irresponsabilité de la République pour les fautes commises durant l’occupation, au titre des lois antisémites. C’est pourquoi Georges Lipietz et son frère n’ont pu utilement essayer de faire valoir leur préjudice qu’à la date de la publication au recueil Lebon de l’arrêt Papon ; Quant à la prescription décennale contre la SNCF, elle n’a pu être recherchée qu’à compter des recherches entreprises à la demande de la SNCF elle-même sur son historien durant l’occupation, c’est à ire à partir de la publication du rapport Bachelier, soit en 1996. C’est pourquoi, les consorts LIPIETZ ne sont pas prescrits puisque l’instance a été introduite en 2001.
responsabilité de la SNCF
La responsabilité de la SNCF est évidente : elle n’a dans cette affaire que chercher à maintenir son potentiel économique et n’a jamais élevé la moindre protestation sur sa prétendue réquisition par l’Etat français. Ainsi donc, le rapport Bachelier, commandé par la SNCF, apporte des éléments suffisants pour estimer que la SNCF était totalement responsable des dommages causés aux requérants.
Montant alloué
L’évaluation du dommage est de 15 000 euros par requérant (15000*4 donc 60000 euros) répartis entre l’Etat et la SNCF selon le rapport deux tiers/un tiers pour l’Etat et la SNCF. 2500 euros seront octroyés aux requérants au titre des frais d’avocats.