Visite de Aurore Martin, récit

dimanche 16 décembre 2012, par Hélène Lipietz

Je me demande bien pourquoi je me suis retrouvée dans cet aéroport qui ressemble à tous les autres, boutiques de bonbons (quelle tentation), de parfum ou de sacs aux prix tels que, même une sénatrice, ne peut s’en s’offrir !

Voir en ligne : Communiqué de presse

un fouille décidée par un portique électronique !

Sans compter la fouille à la vue de tous parce que mes chaussures ayant sonné, le portique a décidé «  aléatoirement  » de résonner (au retour, après avoir enlevé mes chaussures pas de problème). Cela faisait 5 ans que je n’avais pas pris l’avion et je ne savais donc pas à quelle minutie de fouille, par rayon ou par palpation, les voyages nous soumettaient...

Comment peut-on accepter cela : perdre 30 minutes pour vérifier qu’on ne s’apprête pas à mettre une bombe dans les toilettes...C’est une atteinte aux libertés individuelles et plus encore à la confiance mutuelle que les habitants de la terre doivent se porter... Quand on prend une voiture ou lorsqu’on marche à pied, on peut être transporteur de bombe, faire tout autant de dégâts... les fous d’Allah ont gagné : la perte de confiance envers l’humanité triomphe.

Ajoutez à cela mon aversion pour ce moyen de transport parmi les plus polluants et les moins taxés, vous imaginerez, si vous le pouvez, mon arrivée à Madrid... d’autant que la pauvre Catherine Grèze avait manqué sa correspondance depuis Strasbourg !

Un accueil diplomatique

Heureusement, j’ai été chaleureusement accueillie par la Consule générale de France à Madrid, Mme C. TOUDIC, en poste depuis 3 mois... son chauffeur adorable nous a donc fait une visite commentée de Madrid, dans les embouteillages, suite aux manifs contre la vie chère qui bloquaient le centre.

Arrivée au Consulat, j’ai rencontré la magistrate de liaison : c’est une magistrate française déléguée auprès des ambassades dans trente pays au monde dont l’Espagne. Mise à la disposition de l’équivalent de la chancellerie, elle suit les affaires mettant en cause les ressortissants français (300 en Espagne, le plus fort contingent, à 90 % pour des affaires de drogue).

un peu de droit espagnol

Elle m’a donc fait un cours de droit espagnol... où j’ai hélas appris que si Aurore, puisque c’est pour elle que j’était là , était reconnue coupable d’association de malfaiteurs en vue d’une action terroriste, elle serait au minimum condamnée à 6 ans, sans possibilité pour les juges de moduler la peine au regard de la légalité de Batasuna en France ou de l’implication d’Aurore dans l’affaire.

L’Espagne pour ce type de délit ne connaît en effet que les peines-planchers, le juge qui constate la culpabilité est lié par le minimum de la peine : 6 ans... C’est ce que Sarko voulait imposer en France pour les récidivistes, heureusement, la crainte d’une censure du Conseil constitutionnel a eu raison de cette régression et, en France, la peine plancher peut ne pas être appliquée si le juge motive expressément sa décision.

Mais, en même temps, de vieux souvenirs de la fac me rappellent que lorsqu’en France, il y avait l’impossibilité de moduler la peine, il arrivait parfois que les jurés acquittent plutôt que de voir infliger une trop forte peine (mes cours d’histoire de droit pénal sont très vieux et je ne me souviens plus exactement des cas ni de l’époque... il faudra que je fasse des recherches...).

Une telle pratique me donne froid dans le dos mais elle permet aussi d’espérer que les mêmes causes produisant les mêmes effets, la relaxe peut être une solution.. si le jugement intervient en un temps plus calme.

Dés son transfèrement depuis la France, Aurore Martin, a été présentée au juge d’instruction espagnol qui lui a signifié les charges retenues contre elle et à 43 autres membres de Batasuna. Puis elle a été incarcérée à la prison de Soto del Real.

un peu de droit européen

Vous vous souvenez certainement de l’indignation qu’a soulevée cette remise à l’Espagne d’une ressortissante française, en négation du vieil adage : «  la France n’extrade pas ses nationaux  » ..

Mais l’Europe et le mandat d’arrêt européen est passé par là et le spectre de la remise des terroristes, il y a de cela 60 ans, aux allemands a été réactivé. Il est évident qu’encore une fois nous, les politiques, avons péché sur l’explication des règles communautaires et que les Français/Françaises, à l’occasion de l’affaire Martin, ont découvert qu’aujourd’hui cette règle n’est plus applicable en France européenne.

Elle reste toutefois valable face aux demandes des États non européens.

Un repas chaleureux

Le soir, en attendant Catherine, nous sommes allés manger avec Jean-Claude Nolla, ministre conseiller, c’est à dire le second fonctionnaire de l’Ambassade de France à Madrid, et l’ancienne directe de l’ENS Lyon, en résidence à Madrid pour étudier Vélasquez.

Sebastian, tableau de Velasquez, cité par Auguste Rodin.

Au menu du repas, outre d’excellents fruits de mer, nous devions déguster ses connaissances sur le 17e siècle espagnol... mais nous avons parlé menhirs, grottes ornées, Morvan et Panama...

Avec l’habitude espagnole de manger à 21h30 et l’arrivée de Catherine à 23h, merci au chauffeur de l’ambassade pour ses heures supplémentaires, nous sommes rentrées à l’hôtel à 1 heure du matin pour discuter sur le rendez-vous du lendemain. Couchées à 2 heures et levées à 7 h...

Départ pour la prison avec la Consule générale, dans les embouteillage liés, comme la veille, aux grèves à répétition d’un pays qui s’enfonce dans la crise et ce n’est rien de le dire.

Une visite d’un lieu privatif de liberté

Nous arrivons à la prison à 30 km de Madrid, construite il y a 15 ans. En brique, elle semble en excellent état comparée à la prison de Reau ouverte il y a un an en béton où celui-ci est déjà fissuré, faute, d’après un aveu d’un homme entretien, d’avoir prévu un radier pour empêcher les mouvements des bâtiments posés sur un sol argileux... Heureusement que c’est un bâtiment en partenariat public -privécar pour l’instant tout incombe au privé... pour un loyer démentiel...

Le tapis rouge est déroulé devant nous... ou presque : réception par le directeur qui dépend du ministère de l’Intérieur et non, comme en France, du ministère de la Justice qui nous présente le chef de la Guardia civile chargé de la sécurité, et les directeurs de la détention.

Petit arrêt dans la cour où il nous explique je ne sais pas trop quoi, mon espagnol étant limité... Je comprends simplement qu’un des bâtiments est réservé à l’administration. Depuis cette cour on voit les deux bâtiments d’incarcération.. et autour une pelouse propre, sans les détritus habituels en France, sans parler des Baumettes.

Centre pénitentiaire des Baumettes, un rongeur mort dans la cour

Il n’y a pas non plus de yo-yo, ces ingénieux systèmes des détenus pour se passer des bricoles d’une cellule à l’autre, voir le magnifique film le trou.

Nous échappons aux portiques de sécurité, pas comme dans ces aéroports :-( mais le directeur insiste à plusieurs reprises sur l’obligation de laisser nos portables au vestiaire, nous les avions laissés dans la voiture...

Nous remettons nos cadeaux à la fouille et entrons dans les parloirs «  famille  ». Aurore nous expliquera qu’il y a trois type de parloirs : derrière la glace, sans contact ; des parloirs dans une pièce de 16 mètres carrés pour les familles, avec des WC séparés ; et des parloirs intimes, même pour des prévenus ! Auxquels elle n’a pas droit n’étant pas mariée.

Aurore semble en bonne forme, comme le raconte très bien Catherine : c’est épatant d’être allée là bas avec quelqu’un de plus réactive que moi, cela me dispense d’être plus exhaustive dans mon compte-rendu et ce d’autant plus qu’ancienne avocate, je n’arrive pas à parler plus d’une «  cliente  », le secret professionnel étant une seconde nature chez moi, même devenue sénatrice !

J’ajouterai simplement à son récit que nos cadeaux nous ont été rapportés dans la pièce avec l’obligation pour Aurore d’ouvrir la boîte au logo du sénat pour prouver que ce n’était que du chocolat, les gardiens en France l’auraient ouverte loin d’elle.

Mais surtout ce qui m’a frappée, et non Catherine ou madame la Consule, c’est une réflexion que je n’ai jamais entendue chez mes clients «  de droit commun  », avant ou après leur jugement : «  je sais que quand je sortirai je ne serai plus la même, la prison cela brise. Je ne pense pas avoir le courage de continuer.  »

Je pensais que l’incarcération pour une détenue politique était plus facile que pour un droit commun, cela ne semble pas être le cas...

Heureusement que Catherine avait apporté le programme du «  Forum pour la paix » organisé à l’origine par Aurore et qui se déroulait le lendemain, le 15 décembre, à Bayonne. Cela lui a mis du baume au cœur puisqu’elle a ainsi vu que de nombreuses personnalités avaient répondu présent depuis son incarcération.

De retour dans la Cour, le directeur s’est enquis de son état d’esprit et si elle s’était plainte (du moins je crois...) nous l’avons rassuré sur ce point : la prison est une prison, mais elle n’y est pas maltraitée, sauf qu’elle est furieuse d’être considérée comme une terroriste, et donc avec un régime plus sévère, alors qu’elle n’est pas membre de l’ETA !

Catherine et madame la Consule n’avaient jamais auparavant été en prison, excepté que la Consule avait pu rencontrer Aurore parce que j’avais expliqué à sa famille qu’il fallait qu’elle accepte cette visite. Monsieur le Directeur a donc voulu savoir ce que je pensais de celle ci... j’ai eu beaucoup de mal à expliquer que la simple qualité des matériaux rendait la différence flatteuse pour la prison espagnole, reprise par Catherine qui a expliqué l’état de nos prisons avec l’exemple des Baumettes.

Sur le parking, après avoir serré la main de la Consule en l’appelant «  madame la Consule  », le directeur s’est approché de Catherine et lui a donné un abrazo en l’appelant Catherine ce qui l’a fait sursauter... Venant vers moi, il m’a demandé s’il pouvait m’embrasser, ce que j’ai accepté volontiers, en me demandant s’il avait compris que nous étions des représentants du peuple français !

Et voilà pourquoi, je suis en train d’attendre l’avion (3/4 d’heure de retard) dans cet aéroport international avec un avion qui décolle toutes les cinq minutes pas comme un futur aéroport »¦.

Donc, pourquoi j’ai fait une telle entorse à mon horreur de l’avion ? Pour dire à une femme que je ne connaissais pas, dont je ne partage pas les combats, moi qui suis une pacifiste convaincue, que la manière honteuse dont elle a été arrêtée, alors qu’elle ne se cachait plus depuis 5 mois, n’est pas digne de la France et que les Français-Françaises étaient, par notre présence, à ses côtés. D’ailleurs nombres de Français-es lui ont écrit, elle ne peut pas leur répondre, elle n’a droit qu’à deux lettres par semaine, mais elle est très touchée de leur témoignage de soutien et je les remercie pour elle.

Pourvu que cette arrestation soit le départ d’un sursaut des deux côtés des Pyrénées pour qu’enfin le processus de Paix initié à Aiete soit accepté, et pas simplement par l’ETA ou Batasuna.

P.-S.

Merci à celles qui ont rendu possible cette visite :

 Madame Taubira qui m’a encouragée lorsque j’en ai eu l’idée de cette visite, dés ma question orale à vrai dire,
 son attachée »¦ qui a fait le lien avec les services consulaires
 Perline qui a été le rouage indispensable, la grande main organisatrice de ce voyage, avec les nombreux contacts, dans la plus grande discrétion,
 Fanny, qui est l’équivalent de Perline auprès de Catherine,
 madame la Consule générale qui ne m’en a pas voulu d’avoir mis en cause son empressement à aller voir Aurore, alors que c’était cette dernière qui n’avait pas compris le rôle fondamental des consuls pour les nationaux à l’étranger, surtout dans un tel cas !,
 madame la magistrate de liaison qui m’a si bien expliqué le droit espagnol,
 monsieur le Ministre conseiller... pour sa bonne humeur et ses talents d’hôte.

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