En séance

Les modes de scrutin : du département à l’intercommunalité

Mysoginie, refus de la diversité politique, rejet par le Sénat

jeudi 14 février 2013, par Hélène Lipietz, Aurélien Vernet

Après vous avoir livré mes réactions à chaud sur ce texte, j’y reviens avec certains détails complémentaires.

Voir en ligne : Le dossier législatif

La réforme territoriale qui approche et l’abrogation du conseiller territorial que la droite avait eu tant de mal à faire passer sous la dernière législature, ont amené le gouvernement à proposer au Sénat un projet de loi concernant les modes de scrutin pour l’élection des conseillers départementaux [1].

Le Sénat était saisi en première lecture car cela concerne en premier lieu les collectivités territoriales que sont les départements et les communes. Les écologistes ont affirmé leur point de vue en amont de la discussion, notamment à travers une tribune dans Mediapart.

Comme d’habitude, les vidéos sont en fin d’article. Et vous trouverez le très bon résumé final de public Sénat.

Ce projet de loi consacre en premier lieu l’instauration d’un mode de scrutin unique au monde : le scrutin binominal majoritaire à deux tours. Qu’est-ce que cela signifie ? Et bien tout simplement que les conseillers départementaux ne seraient plus élus seuls mais par paires, et de manière paritaire évidemment. Cela reste du scrutin majoritaire ayant une forte tendance à favoriser deux partis en particulier au détriment de tous les autres qui se retrouvent obligés de négocier leurs siège et leurs alliances avant les élections au risque de ne pas être présents dans ces assemblées.

Les écologistes soutiennent évidemment la parité, mais nous soutenons également la diversité politique, le débat d’idées, la démocratie en somme.

Nous avons donc proposé une série d’amendements afin d’instaurer un scrutin proportionnel de liste, paritaire. Ce qui, en plus de garantir la parité, ouvre à la diversité politique sans mettre en danger l’établissement d’une majorité stable, puisque l’on accorde une prime majoritaire de 25% à la liste qui remporte la majorité des suffrages.

Dans l’optique de conciliation avec nos partenaires de gauche, nous avons également proposé des amendements de repli qui auraient consacré une part de proportionnelle lors de chaque élection, qu’elle soit départementale ou intercommunale.

Malheureusement aucune de ces propositions n’est parvenue à faire bouger les lignes bien verrouillées des deux partis principaux du Sénat.

La discussion autour de l’article 2 fut l’occasion d’un débat animé autour de la parité et de la place des femmes en politique. Cela tombait bien, car la gauche était minoritaire en séance à ce moment là , et les prises de parole nombreuses ont permis d’attendre un retour de la majorité. Vous trouverez les vidéos de ce débat mémorable, qui a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre, en fin d’article.

Voici l’extrait de mon intervention en commission des lois où d’ailleurs j’ai subi une certaine frustration concernant l’ordre de discussion des amendements, qui ne respectait pas la tradition de celle de la séance :

Compte-rendu intégral

Mme Hélène Lipietz. - A quoi sert au juste la modification d’un mode de scrutin ? S’agit-il de permettre aux citoyens de se retrouver dans les assemblées qui les représentent, ou de les en empêcher ? Notre mode de scrutin est trop complexe, et certains votes - ceux exprimés en faveur du Front national, pour ne pas le nommer - ne sont pas pris en compte. Ne nous étonnons pas, dès lors, que les gens se désintéressent des élections et que la participation baisse ! J’ai compté huit modes de scrutin différents en France : pourquoi y en a-t-il autant ? Ne pourrions-nous pas organiser de façon semblable au moins deux types de scrutins équivalents, comme ceux des élections régionales et départementales ? J’ai déposé un amendement qui instaure un scrutin proportionnel par section de départements, analogue à ce qui se fait pour les élections régionales. Je ne crois pas que la proportionnelle multipliera les sièges obtenus par le Front national. Et quand ce serait le cas, il ne serait pas moins légitime, avec ses 20 % d’électeurs, à les occuper lorsque les Verts, auxquels j’appartiens, ne représentent que 2,5 % des suffrages exprimés. Ma conviction, c’est qu’on ne lutte pas contre le Front national en l’empêchant de participer à la vie politique, mais en combattant ses idées.

La parité ne consiste pas à couper les représentants en parts strictement égales. D’un point de vue statistique, il faudrait d’ailleurs obtenir un partage 52% - 48% en faveur des femmes puisque nous sommes majoritaires dans la population !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Bien sûr.

Mme Hélène Lipietz. - L’écart est même plus grand après 18 ans, puisque plus de garçons meurent avant. En outre, je vais sans doute me faire des ennemis, mais nous savons très bien qui travaille le plus dans les assemblées : ce sont les femmes ! En vingt ans de vie politique, je l’ai toujours vérifié. Si certains hommes nous recrutent, c’est qu’ils en sont bien conscients. C’est pourquoi la proposition du binôme ne me semble pas pertinente. Elle donne l’illusion de la parité, mais ne modifie en rien la répartition du travail et du pouvoir au sein du personnel politique. Il ne s’agit que d’un nouveau mode d’élection des représentants du peuple auquel ce dernier risque de ne rien comprendre.

La discussion de ce projet de loi nous a également offert un beau moment de conservatisme et de misogynie de la part de certains sénateurs UMP. La réaction ne se fit pas attendre longtemps, et nous avons été plusieurs femmes à réagir vivement, ce qui à donné lieu à de nombreux articles de presse.

N’ayant obtenu aucune avancée il était évident qu’alors que la proportionnelle faisait partie de notre accord de gouvernement, nous ne pouvions voter pour cet article. Le rejet de l’article 2 suite à l’abstention des écologistes et des communistes et du vote contre de la droite à eu pour effet de vider de sa substance une grande partie du texte.

Toute cette discussion ayant aboutit au rejet du texte final, l’assemblée nationale examinera le texte du gouvernement et non celui du Sénat. Ce qui a pour effet de rendre inutile le seul amendement que j’ai pu faire adopter en Séance. Mais nos homologues de l’assemblée nationale et Pierre Januel (collaborateur de groupe auprès de la commission des lois) nous ont déjà indiqué reprendre la majeure partie de nos amendements. Espérons que l’assemblée nationale sera moins conservatrice que le Sénat.

Je vous livre mon explication de vote final dans la nuit du vendredi au samedi (issue du compte-rendu intégral), juste avant de rester coincée à l’hôtel car les taxis parisiens ne savent pas conduire sur la neige.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Les écologistes sont parfaitement conscients que leur abstention est l’une des raisons pour lesquelles le texte a finalement été vidé d’une partie de sa substance.

Si nous nous sommes abstenus sur le scrutin binominal, ce n’est pas parce que nous y étions défavorables, mais tout simplement parce que vous avez oublié le scrutin proportionnel, qui se trouve au cœur même de la philosophie des écologistes, car il permet la représentation de tous les courants de pensée, y compris, s’il le faut, des plus extrêmes d’entre eux.

M. Jacques Mézard. Vous en faites partie »¦

Mme Hélène Lipietz. Comment aurions-nous pu accepter un scrutin qui, au nom de la parité, sacrifiait la représentation des diverses pensées politiques présentes aujourd’hui en France ? Voilà pourquoi nous nous sommes abstenus. Et si le Gouvernement n’a pas trouvé une majorité suffisante pour faire adopter son dispositif, nous n’y sommes pour rien !

M. Gérard Longuet. La majorité, vous en faites partie, quand même ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. Manuel Valls, ministre. Bonne remarque !

Mme Hélène Lipietz. Nous avons déposé plusieurs amendements et aucun n’a été retenu. Pis, l’un d’entre eux, qui avait recueilli l’avis favorable de la commission des lois, a été rejeté simplement au motif qu’il s’agissait d’un amendement écologiste ! Il tendait pourtant à éliminer, dans le code général des collectivités territoriales, les scories de l’ancienne loi relative à l’élection triennale.

C’est extrêmement désagréable ! Finalement, nous avons l’impression que, sans que cela change quoi que ce soit, nous pourrions être dans nos familles ou sous notre couette !

M. Manuel Valls, ministre. à‡a, c’est vrai !

M. Albéric de Montgolfier. L’hémicycle est bien chauffé !

Mme Hélène Lipietz. C’est à se demander à quoi nous servons si toutes nos tentatives pour apporter des améliorations à la loi sont repoussées !

Nous sommes également extrêmement déçus de n’être pas passés, enfin, à un scrutin de liste autonome pour les intercommunalités. Je regrette, notamment, que le scrutin que nous avons proposé pour les communautés d’agglomération n’ait pas été retenu. Un jour, peut-être »¦

Je note tout de même une avancée : désormais, les électeurs sauront enfin, lorsqu’ils voteront pour le conseil municipal, qui ira siéger dans les intercommunalités.

En raison de cet énorme progrès et malgré tous les défauts du texte, nous voterons en sa faveur.

Mon intervention en discussion générale concernant le conseillers départemental :

Celle de Ronan Dantec en complément, historique de la dernière réforme et délégué communautaire :

Début du débat sur l’article 2 et dérapages autour de la parité

La suite du débat sur l’article 2 entremêlé de parité
La deuxième suite du débat sur l’article 2 avec notamment l’intervention de Catherine Tasca
Suite et fin du débat sur la parité

Notes

[1qui, au passage, abandonnent leur dénomination historique incompréhensible aujourd’hui de "conseillers généraux" : La dénomination remonte aux « conseils généraux de département » établis sous la Révolution puis sous le Consulat, époque à laquelle ont également été utilisés, à d’autres échelons territoriaux, les termes de « conseils généraux de commune » et de « conseils généraux de district ». La précision « de département » a disparu par la suite et n’est jamais réapparue malgré la création ultérieure des conseils régionaux.

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