EURODAC

ou comment le métier vient à la Sénatrice

mardi 25 septembre 2012, par Hélène Lipietz

Voir en ligne : Le dossier EURODAC

àŠtre sénatrice comme être avocate s’apprend. Il faut savoir humer le vent et surtout ne pas hésiter d’aller à contre-courant tout en sachant se retourner à temps... bref être politique.

La commission des lois avait à émettre un avis sur la modification d’ EURODAC, fichier de gestion des empreintes digitales des demandeurs d’asile présents sur le territoire européen.

La proposition du Parlement européen était de permettre l’utilisation de ce fichier a des fins de préventions du terrorisme ou du grand banditisme.

La discussion en commission des lois a validé l’idée qu’un fichier devait uniquement servir pour quoi il a été créé et que l’élargissement d’un fichier n’est pas possible... sauf à en créer un nouveau (les débats de la commission des lois).

Arrivant sure de mon «  bon droit  », je voulais faire passer trois idées

1- protéger les demandeurs d’asile qui en arrivaient à se brûler les bouts des doigts 2- rappeler la possibilité de protéger les demandeurs d’asile du poids économique qu’ils représentent dans les pays de première entrée sur le territoire européen, Grèce ou Italie et donc de rappeler aux États membres qu’ils doivent user plus largement de la possibilité offerte par l’article 15-1 du règlement de Dublin 2 d’examiner sur leur territoire les demandes d’asile présentées dans un autre État.

Voici donc le projet de la proposition de résolution et mes trois amendements avec leurs explications

Je reproduis ici le texte de la proposition de résolution disponible directement sur le site du Sénat, nous y incluons les amendements que j’ai proposé en vert :

PROPOSITION DESOLUTION

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil (E 7388) relative à la refonte d’EURODAC ;

Considérant que la France et l’Union européenne se sont dotées d’un cadre juridique garantissant un haut niveau de protection des données personnelles ;

Considérant que l’utilisation des traitements de données personnelles en conformité avec des principes de finalité et de proportionnalité constitue un élément essentiel de ce cadre juridique et une garantie de l’acceptation sociale de ces traitements ;

Considérant par ailleurs que le droit d’asile est un principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que les demandeurs du statut de réfugié bénéficient d’une protection particulière ;

Considérant que toute atteinte à ces principes ne pourrait être fondée que sur une nécessité dûment justifiée ;

« Considérant enfin que l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte grave aux intérêts des demandeurs d’asile »

Sur cet amendement, je développe plusieurs arguments :

Dans un arrêt du 11 janvier 2012 rendu en référé sur la circulaire de l’Ofpra en date du 2 avril 2010 qui instaure un rejet automatique des demandes d’asile lorsque la relève des empreintes digitales des requérants est impossible de manière récurrente. le Conseil d’Etat, (Conseil d’État, Juge des référés, 11/01/2012, 354907, Inédit au recueil Lebon), a rappelé qu’il n’était pas possible de rejeter sans examen particulier les demandes d’asile au simple motif que les empreintes digitales ne seraient pas relevables :

 »œl’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile concernés »

La Cour nationale du droit d’asile dans un arrêt du 21 février 2012, n °11032252. a pris acte de cette décision du Conseil d’Etat en jugeant que

« la demande d’asile régulièrement enregistrée de Mlle Y., qui déclare être érythréenne, (a été rejetée par l’OFPRA) au motif que l’intéressée, qui ne produisait aucun document d’identité ou de voyage et qui avait rendu volontairement impossible l’identification de ses empreintes digitales, ne permettait pas à l’office de se prononcer sur le bien-fondé de sa demande ; qu’en se fondant sur ce motif pour refuser à Mlle Y. le bénéfice de l’asile, sans procéder à un examen particulier des éléments qu’elle avait invoqués à l’appui de sa demande et sans se prononcer sur son droit éventuel à une protection au titre de l’asile, le directeur général de l’OFPRA a privé l’intéressée de la garantie essentielle prévue à l’article L. 723-2 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’il y a lieu, dès lors d’annuler la décision attaquée et de renvoyer Mlle Y. devant l’office aux fins d’examen de sa demande"

Considérant que le texte ne contient aucun élément étayant la probabilité que des personnes suspectées de terrorisme ou d’autres infractions graves se trouvent parmi les personnes ayant demandé l’asile dans un des pays membres de l’Union européenne ;

Estime que le fichier Eurodac doit garder sa finalité première qui est de déterminer, conformément au Règlement Dublin II, le pays responsable du traitement d’une demande d’asile ;  »œsans porter atteinte au principe fondamental de prévention contre les traitements inhumains ou dégradants tel que défini par l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en utilisant plus largement le mécanisme d’exception mis en place par le règlement Dublin II en son article 15 »

L’explication : le Règlement européen Dublin 2 pose le principe qu’un seul État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile, il précise aussi dans son article 15-1

1. Tout État membre peut, même s’il n’est pas responsable en application des critères définis par le présent règlement, rapprocher des membres d’une même famille, ainsi que d’autres parents à charge pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels. Dans ce cas, cet État membre examine, à la demande d’un autre État membre, la demande d’asile de la personne concernée. Les personnes concernées doivent y consentir.

En outre, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH : M.S.S. c. Belgique et Grèce (Cour EDH, G.C. 21 janvier 2011, Req. n ° 30696/09)

rappelle que le fait qu’ « un Etat demeure entièrement responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses obligations juridiques internationales, notamment lorsqu’il a exercé un pouvoir d’appréciation » ( § 338).

Or, comme cela fut souligné à la lueur d’une question posée par la juge Tulkens lors de l’audience publique (v. ADL du 1er septembre 2010), un tel pouvoir d’appréciation existe au sein du mécanisme « Dublin II » : l’Etat peut décider d’ « examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement » ( § 339) et ce, en vertu de la « clause de souveraineté » prévue à l’article 3.2 du règlement ( « Par dérogation au paragraphe 1, chaque État membre peut examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement »). Dès lors, « les autorités belges auraient pu, en vertu du règlement, s’abstenir de transférer le requérant si elles avaient considéré que le pays de destination, en l’occurrence la Grèce, ne remplissait pas ses obligations au regard de la Convention » ( § 340).

Il est donc dans la tradition républicaine de la France et aujourd’hui du Conseil de l’Europe que le Sénat rappelle que la France peut traiter des demandes d’asile en provenance d’autres pays de l’UE. Cette possibilité doit particulièrement être mise en oeuvre lorsque les services concernés dans le pays où la demande d’origine a été formulée n’ont pas les moyens, humains, matériels ou autre, de répondre à cette demande.

Estime que la circonstance que les garanties encadrant l’introduction de cette nouvelle finalité semblent sérieuses ne permet pas de lever la difficulté essentielle que pose cette nouvelle finalité, d’autant que l’intervention d’un juge n’est prévue à aucun stade de la procédure ;

« Estime par ailleurs que le Règlement Eurodac doit rappeler que l’absence d’empreintes digitales ou leur caractère inexploitable ne peut constituer un motif suffisant pour refuser l’examen d’une demande d’asile et préciser la procédure à appliquer dans un tel cas. »

Cet amendement découle naturellement du premier en précisant sa portée.

Considère en revanche que l’amélioration de la gestion du traitement de données Eurodac, qui n’est actuellement pas satisfaisante, doit constituer une priorité, et approuve par conséquent les améliorations proposées par la Commission dans ce domaine ;

Considère enfin que l’intérêt d’un « marquage » dans Eurodac des personnes ayant déjà obtenu une protection internationale ainsi que d’un passage de deux à un an de la durée de conservation des données relatives aux personnes dont les empreintes ont été relevées à l’occasion d’un passage irrégulier de frontières n’est pas démontré.

Conclusion

Le rapporteur socialiste (monsieur LECONTE) a donné un avis favorable aux deux premiers amendements.

Prise de parole de monsieur Hyest, mon ancien patron au Conseil général, mais surtout ancien président de la Commission des lois : hors de question de voter des amendements qui affadirait la portée de notre refus de modifications du but d’Eurodac : non au détournement de fichier...

Les 5 autres sénateurs qui prennent la parole vont dans le même sens, certains ajoutaient heureusement que j’ai posé les bonnes questions et qu’il conviendra d’en reparler. N’ayant aucune raison de me battre pour un amendement voué à l’échec, je l’ai donc retiré ... en me jurant de ne pas oublier que le but d’un texte doit toujours être respecté.

Le dernier amendement avait un avis défavorable du rapporteur le considérant hors sujet... amusant parce que je considérais qu’il venait agréablement préciser le neuvième paragraphe.

Résultat 2 pour (merci Esther), 5-6 abstention, le reste étant contre...

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