Non-cumul des mandats

Conservatisme sénatorial

jeudi 19 septembre 2013, par Hélène Lipietz, Aurélien Vernet

Les 18 et 19 septembre, arrivait au Sénat le texte tant attendu concernant le non-cumul des mandats. Ce texte, comme on s’y attendait, a révélé une fois de plus, le conservatisme latent du Sénat. Il n’y avait guère que les écolos et les communistes pour soutenir un non-cumul ambitieux, y compris pour les sénateurs. Je vous livre le texte de mon discours en séance.

Les liens vers les deux dossiers législatifs : La loi organique La loi ordinaire

Nous avions partagé nos 18 minutes de discours avec Esther. Elle s’est exprimée sur le volet diversité du non-cumul.

Vous trouverez sous mon discours la vidéo de Public Sénat concernant la discussion générale. Mon intervention est à 1heure 56 minutes.

Voir en ligne : le compte-rendu analytique de mon intervention

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

Voici LE texte, celui qui fâche, celui qui clive, celui qui transcende les familles politiques :

le texte visant à empêcher ou à limiter le cumul des mandats, plus exactement à limiter le cumul de mandat de parlementaires et d’autres mandats ou fonctions électives..
  Je ne reviendrais pas sur l’ineptie, excusez moi, monsieur le ministre de ce terme fort, de décider de priver les parlementaires d’un second tour de parole et de vote.

De quoi avez vous peur ? Vous le savez l’Assemblée est majoritairement derrière vous et les contestataires du Sénat n’en peuvent mais »¦.

Quant à l’urgence de limiter le cumul »¦ elle est née avec moi, en 1958 »¦ donc elle commence à vieillir !

 Faut-il d’ailleurs croire la légende qui voudrait que le général de Gaulle n’ait pas voulu interdire le cumul pour que les parlementaires aient un os à ronger, eux que la cinquième république a dépouillé de leurs pouvoirs ?

Il doit y avoir un fond de vérité »¦ rappelons nous que Louis XIV a inventé la Cour pour calmer l’ardeur belliqueuse des nobles.

En laissant se développer le cancer du cumul des mandats, comme aucune autre démocratie européenne ne le connaît ou comme aucune constitution précédente ne l’a connu la cinquième république est en rupture avec son propre principe de démocratie (article 2) :

 »œle gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple »

Car en confisquant jusqu’à 20-25 Mandats ou fonctions représentatives les parlementaires qui cumulent confisquent le gouvernement de leur territoire...

Faut-il rappeler le conflit d’intérêts évident lorsque certains Sénateurs ne viennent dans cet hémicycle qu’aux moments où nous discutons des lois qui concernent directement leur territoire.

Lorsqu’ils préparent des pans entiers d’une loi à deux ou trois parlementaires du même département et qu’ils parviennent à l’imposer au parlement sous couvert d’expertise locale.

Ils viennent défendre leur territoire, leur ville, ce qui peut-être louable, comment les en blâmer, mais ont-ils besoin d’un mandat exécutif pour cela ?

Et surtout, défendent-ils l’intérêt général de l’ensemble de la nation ? D’une nature par essence différente de l’intérêt local !

Et puis où est l’égalité des candidatures quand un élu cumul ou souhaite cumuler ? n’a t -il pas lui aussi un pouvoir ou des connaissances qui rompent l’égalité des candidatures ou une aura que n’a pas un candidat non cumulard ?

Et je le dis sans acrimonie, je peux avoir de l’estime pour ceux qui cumulent qui font souvent un très bon travail »¦ mais qui, pour certains, ne font pas tout le travail, ou le font par le prisme de leur territoire !

Et je n’ai certainement pas de mépris pour eux, les apparatchiks de la politique, juste peut-être un peu de pitié : en ne faisant que de la politique, ils oublient qu’il y a une vie en dehors de celle-ci.

Ils vivent, ils pensent politique, or l’organisation de la vie de la cité, la politique est d’abord une histoire de citoyens et de citoyennes, de rapports avec la société, de rapports dans la cité.

Ce que reprochent les français et françaises c’est que nous soyons déconnectés de la réalité de ce qu’ils vivent »¦ même si nous nous penchons sur leur problèmes en faisant les marchés ou sur le terrain lors de nos permanences, nous ne faisons plus partie de la société civile mais de la société politique »¦

Et cette différence, les français et française le ressentent comme jamais auparavant »¦

peut-être parce qu’avant le niveau d’instruction était moindre, mais aussi parce qu’Internet permet au peuple de s’exprimer en dehors de élections.

 Même les élus non cumulards reprochent à ceux qui cumulent de ne pas être des élus tout à fait comme eux »¦ Etre Sénateur et maire, conseiller régional ou maire, même d’une petite commune ouvre des portes qui ne sont pas ouvertes aux détenteurs d’un seul mandat.

Un député maire me faisait part de la difficulté comme maire d’une sous-préfecture de s’imposer face à la technocratie étatique... attitude qui a un tout petit peu changée depuis qu’il est parlementaire »¦

Donc le cumul est peut-être aussi une réponse à l’Enarchie.

Mais dans ce cas n’est-ce pas l’ENA qu’il faut changer et non le non-cumul ?

 Certes, parmi les élus, cumulant ou non, il y a des apparatchiks des partis, et cela dans tous les partis ; des apparatchiks de la politique et cela pour toutes les politiques et les parachutés qui arrivent dans une circonscription avec les beaux atours de leur partis, sont aussi condamnables que les Bibendums, ces élus empilant les écharpes autour de leur taille afin d’éviter que le naufrage de leur mandat ne les condamne à redevenir de simples citoyens, le cumul des mandats leur permettant ainsi de surnager, en absence d’un véritable statut de l’elu.
  Alors oui, je peux comprendre que certains, parce qu’il n’y a pas de statut de l’élu et que donc la fin du mandat fait peur, parce que le parlement est rabaissé et donc les parlementaires avec, (les soixante huitard l’avaient bien compris), que certains donc cumulent »¦ Par volonté de servir leur idées, leur concitoyens, mais il faut bien l’avouer, aussi par besoin de reconnaissance et soif de pouvoir.

 Il est ainsi étonnant de constater l’inadéquation, entre le ressenti des citoyens et celui des élus qui cumulent :

les journaux, les citoyens lambda traitent ces élus de cumulards, y compris à travers des palmarès totalement démagogiques mais ceux qui cumulent témoignent parfois d’un profond mépris envers ceux qui ont fait le choix de ne pas cumuler Et nous sommes nombreux dans ce cas ou ceux qui n’ont pas pu être cumulards ( pour plus de 400 000 élus en France, il n’y a qu’un millier de postes de parlementaires ) »¦

Comme si les non-cumulards non seulement dans l’espace mais aussi parfois dans le temps, avaient moins de valeurs car élus moins souvent, comme si leur travail était moins efficace, ou moins noble, alors même qu’ils se consacrent à un seul mandat, tant sur le terrain que dans l’hémicycle.

 Certes, ceux qui cumulent, dans le temps ou dans l’espace, le font avec l’onction du suffrage universel, ils sont légitimés ainsi à leurs propres yeux.

Il faut toutefois garder à l’esprit que les électeurs n’ont pas vraiment le choix des candidats et que ce sont bien les partis qui choisissent les candidats, faisant des cumulards eux-aussi des aparatchiks des partis

Même dans le cas de primaires ouvertes, le filtre de ces primaires est déterminé par les partis.

Entre un candidat ayant déjà une casquette mais qui représente vos idées et un candidat sans casquette et qui représente des idées auxquels vous êtes opposées, le choix semble simple »¦

Jusqu’au jour où le non-cumul devient pour vous, simple citoyen, le critère de choix, parce que vous êtes persuadé, à tort ou à raison, qu’en cumulant, l’élu ne peut pas travailler pour vous mais travaille pour lui et surtout ne connaît plus les réalités de terrain.

Certains conçoivent le cumul comme une exigence constitutionnelle :

le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République ce qui légitimerait que tout sénateur soit en situation de cumul, »¦

Outre le fait que rien n’interdit de comprendre cet article constitutionnel comme une simple exigence de connaissance des collectivités territoriales, au travers notamment d’un précédent mandat, l’interprétation de la nécessité d’avoir un mandat territorial pour être sénateur aurait comme corollaire nécessaire et évident que le Sénat ne pourrait délibérer que sur les textes relevant des Collectivités territoriales »¦

Inversement, l’Assemblée qui représenterait le peuple ne pourrait pas avoir en son sein des représentants des collectivités territoriales et surtout ne pourrait pas délibérer sur l’organisation des collectivités territoriales.

 L’absurdité de ce raisonnement extrême se heurte de plus à un autre article de la constitution :

(article 3) aucune section du peuple, ici le sénat, ne peut s’attribuer l’exercice de le souveraineté nationale, fut-elle réduite à l’organisation des Collectivités Territoriales.

Aujourd’hui, un sénateur homme ou femme, sans mandat territorial en cours, a la plénitude de la connaissance pour traiter des Collectivités Territoriales comme un sénateur a des idées sur le droit des femmes ou une sénatrice sur celui des hommes (du moins je l’espère).

 Reste l’efficacité du travail politique, et c’est sur cette efficacité que nous sommes jugés :

travailler à organiser sa ville à la faire devenir une métropole nationale voire européenne est certainement plus facile que d’influencer la politique nationale par le travail parlementaire.

Le pouvoir politique aujourd’hui n’est plus au Parlement mais dans les collectivités territoriales alors même qu’elles connaissent les mêmes difficultés budgétaires..

Le désintérêt de certains parlementaires à venir siéger régulièrement en commission et en Hémicycle est peut-être dû à l’affaiblissement du Parlement, et à la présidentialisation du pouvoir en France.

Mais alors, pour revaloriser la fonction parlementaire, ne faut-il pas commencer par le Parlement ? et donc par changer de Constitution ?

  Alors non, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez dans ce texte n’est pas la querelle des anciens et des modernes »¦

Ce n’est pas une question de prendre ses responsabilités, quels que soient nos votes, ils seront en conscience.

Ce que vous nous proposez monsieur le ministre, c’est une transformation de notre paysage mental et un changement de notre paysage politique.

 Pour les écologistes, le non-cumul est inscrit dans nos gênes et dans nos statuts, même si, parfois, comme dans d’autres partis il y a des exceptions qui confirment la règle.

Parce que les écologistes, doux rêveurs, pensent qu’il faut partager les mandats, partager la représentation pour qu’elle soit plus diverse, nous voterons donc votre texte avec la conscience aigüe que nous sommes en train de transformer petite à petit la Ve république, de la détricoter parce qu’elle est à bout de souffle, et que nous n’avons pas le courage de dire qu’il faut changer la constitution de la France flamboyante de 1958, qui n’est plus adaptée à la France du XXI ème siècle dans une Europe plus présente et où les citoyens et peut-être surtout les citoyennes appellent à un autre rapport à la politique, peut-être moins viril, moins m’as-tu-vu et plus proche d’eux.

Nous voterons ce texte en ayant conscience qu’il s’agit d’un nouveau coup de couteau dans une outre qui se vide peu à peu de son contenu pour abreuver les réflexions sur la nouvelle république que nous appelons de nos vœux.

La vidéo de Public Sénat (Mon intervention est à 1heure 56 minutes) :

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