Mme Hélène Lipietz.
Un seul être manque et tous sont mis à nu : telle pourrait être la leçon de ces derniers mois de la vie politique française.
Mais le désamour, voire le mépris, que les Français semblent éprouver pour les hommes et les femmes politiques est-il lié à l’affaire C. ?
N’est-ce pas à bon compte que l’on met sur le dos d’un seul la responsabilité de tous ?
Ce bouc émissaire est-il le responsable de tous les maux, chargé non pas de les emporter hors de nos villes mais essentiellement de cacher une réalité faite de petites entorses à la morale et, surtout, de nos grandes entorses à nos promesses de jours meilleurs, les écologistes ayant plutôt tendance à promettre des jours pires ?
En y réfléchissant bien, l’affaire C. »¦
M. Henri de Raincourt. Cahuzac !
Mme Hélène Lipietz. »¦ n’est qu’un pâle reflet des scandales qui ont émaillé toutes les cités, tous les empires, toutes les sociétés depuis que l’écriture nous en transmet la mémoire.
Le roi David envoya Uri faire la guerre, lui-même préférant lutiner la femme de son général, la belle Bethsabée.
M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas grave ! (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. C’est naturel ! (Nouveaux sourires.)
Mme Hélène Lipietz. Le romain Verrès s’est enfui avec le budget de l’armée, achetant, grâce à ce budget, ses électeurs, pillant la province dont il a été le légat. Puis, devenu magistrat, il vend ses jugements. (Des discussions sur les travées de l’UMP couvrent les paroles de l’orateur.)
Mme Cécile Cukierman. Peut-on écouter Mme Lipietz ?
M. le président. Mes chers collègues, veuillez écouter Mme Lipietz, je vous prie.
Mme Hélène Lipietz. Réélu en Sicile, il pille celle-ci jusqu’à ce que Cicéron, journaliste d’investigation de l’époque, révèle au monde sa turpitude.
Le troisième calife de l’empire arabo-musulman, Othman ibn Affan, n’eut pas besoin d’un ignoble vizir pour perdre sa place : son népotisme lui valut une révolution de palais et la perte de sa vie.
Nos rois et nos reines firent souvent du royaume de France le supplétif de leur domaine royal. Le régent fut un promoteur immobilier hors pair, doublé d’un visionnaire dans l’argent en papier.
Et si la République naissante fut friande de la transparence en stipulant, par décret du 14 mai 1793, « les représentants du peuple sont, à chaque instant, comptables à la Nation de l’état de leur fortune »,
Danton ne fut pas un Saint »¦ Just.
Les turpitudes des politiques de la IIIe République permirent aux journaux de faire fortune tout autant qu’elles firent leur propre fortune. Le gendre du Président Grévy, Daniel Wilson, député, malgré sa condamnation pour trafic de légion d’honneur fut réélu deux fois. Panama fut un scandale tout autant qu’une réalisation technique exceptionnelle.
Des élus et des fonctionnaires de la IVe République retrouvèrent sans gloire le chemin des scandales en récoltant des piastres en lieu du Trésor public.
M. Jean-Claude Lenoir. L’affaire des piastres, l’affaire des fuites !
Mme Hélène Lipietz. Quant à la Ve République, elle n’a pas manqué d’attirer les escrocs et magouilleurs, qu’ils soient hommes politiques, fonctionnaires ou encore citoyens plus égaux que les autres dans le secret des dieux. Par respect pour ceux qui sont toujours en vie, je ne citerai pas de nom.
Mais si nos économies sont si mal en point, n’est-ce pas aussi parce que des banquiers ont grugé les emprunteurs en inventant des valeurs ne reposant, justement, sur aucune valeur ?
Et le sport national des Français n’est-il pas la fraude aux impôts et aux amendes avec demande d’appui à leur sénatrice préférée ?
Alors oui, la politique a des pourris, mais tous ne le sont pas et, surtout, ceux qui nous jugent devraient aussi faire l’inventaire de leurs compromissions avec l’intérêt général.
Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi nous ? Et surtout pourquoi comme cela ? Pourquoi cette loi sur « l’opaque transparence descendue d’un scandale » ? Cet oxymore est digne d’un Cid qui, parti 925, par un prompt défaut, se vit bien seul en arrivant en hémicycle.
La réponse est peut-être dans l’incapacité de nos politiques successives, qu’elles soient de droite ou de gauche, à résoudre des problèmes insolubles, tels que le chômage ou le retour de la croissance, »¦
M. Charles Revet. Exactement !
Mme Hélène Lipietz. »¦ ou la perte de prestige de la France et la montée de nouvelles puissances mondiales, »¦
M. Charles Revet. C’est tout à fait la réalité !
Mme Hélène Lipietz. »¦ ou encore l’incompréhension de nos citoyens face aux premiers signes tangibles de l’épuisement de notre planète, réchauffement climatique, envolée du prix des matières premières.
Tout cela augmente la défiance des citoyens vis-à -vis de l’action politique.
M. Charles Revet. On veut cacher la réalité !
Mme Hélène Lipietz. Or l’action politique c’est nous ; et nos concitoyens ne nous font plus confiance, parce que dans l’épreuve le capitaine est toujours responsable de tout et de tous. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Henri de Raincourt. Capitaine de pédalo ! (Sourires.)
Mme Hélène Lipietz. Et c’est ainsi que 80 % de nos concitoyens considèrent que nous sommes corrompus, indistinctement, les purs et les impurs, les bons et les méchants, les truands et les agneaux !
Et le pire, c’est que nous sommes d’accord avec cette défiance puisque nous nous apprêtons à voter un texte qui va mettre fin à la présomption d’innocence en instaurant une présomption de suspicion !
M. Gérard Longuet. Exactement !
Mme Hélène Lipietz. Fallait-il aller aussi loin, ou aussi peu loin, dans la mise au pilori de 7 000 personnes : les parlementaires, les ministres et leurs cabinets, les membres des autorités administratives indépendantes, les hauts fonctionnaires, mais pas les maires des communes de moins de 30 000 habitants ?
Poser la question c’est déjà y répondre. Toutefois, la réponse n’a aucun intérêt, puisqu’elle est inaudible, faussée par elle-même.
Une fois le grand déballage exigé, il n’est plus possible de reculer. Peut-on, un seul instant, imaginer que nous ne votions pas ce texte, aussi déplaisant soit-il ?
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ah oui !
Mme Hélène Lipietz. Ceux d’entre nous qui ne le voteront pas, même s’ils sont majoritaires dans cet hémicycle, seront soupçonnés d’avoir des choses à cacher.
M. Jean-Vincent Placé. Bien sûr !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Mais non !
Mme Hélène Lipietz. Quelles sont ces choses ? Peu importe qu’elles soient politiques, juridiques ou personnelles, elles seront inaudibles. Car c’est le refus qui sera montré du doigt.
M. Alain Gournac. Oh là là !
Mme Hélène Lipietz. Ainsi donc nous savons tous que nous allons devoir nous mettre à nu »¦
M. Jean-Claude Lenoir. Par pitié, non, pas ça ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Restons sages ! (Nouveaux sourires.)
Mme Hélène Lipietz. Laissez-moi finir ma phrase !
M. Gérard Longuet. Vous nous tendez des perches !
Mme Hélène Lipietz. Nous savons tous que nous allons devoir nous mettre à nu, disais-je, reste à savoir comment présenter belle.
Pourtant, au lieu de foncer tête baissée dans l’effeuillage généralisé, nous, collectivement, élus et citoyens, aurions dû prendre le temps de réfléchir à cette question : comment empêcher le pouvoir de corrompre ?
à€ défaut d’avoir pris le temps de la réflexion, nous avons des réponses qui ne sont pas adaptées à la question et qui choquent plus d’un d’entre nous.
Ainsi, plutôt que le patrimoine de l’élu, n’est-ce pas la différence entre l’entrée et la sortie de mandat qui intéresse nos concitoyens, ce delta de toutes les turpitudes, là où se retrouve l’enrichissement sans cause ?
Ainsi, sur mon site internet personnel, la rubrique « La réserve parlementaire et son utilisation pour l’année 2013 » intéresse infiniment plus que « L’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat », l’IRFM. Sur le site du Sénat, la rubrique « Les déclarations d’activités et d’intérêts » n’arrive qu’en quarante-cinquième position des pages consultées. Il semble bien que le déballage n’emballe les médias et les foules que tant qu’il n’a pas lieu !
La publication de mon patrimoine a eu pour unique conséquence une proposition m’incitant à placer mes économies en assurance vie plutôt que dans la pierre, pour permettre à mes enfants d’échapper à l’impôt sur les successions »¦
M. Jean-Claude Lenoir. C’était très sage !
Mme Hélène Lipietz. Au fond, ce que nous reprochent les citoyens, ce sont les connivences, les petits et gros arrangements entre amis qui conduisent à voter des lois, à adopter des amendements, au bénéfice non pas de l’intérêt général, mais d’industries, de sociétés de marchand de ... Tapie, de copains et de coquins, au détriment de la société, de l’environnement ou de la santé.
Ce qui intéresse aussi les citoyens, c’est que nous donnions l’exemple, en nous appliquant à nous-mêmes ce que nous voulons qu’eux-mêmes fassent, même s’ils ne le font pas... Voilà d’ailleurs qui ne manque pas d’étonner !
Ainsi, l’évasion fiscale, c’est mal, mais, quand l’évadé a des responsabilités politiques, c’est pire !
Nous avons aussi eu un cas chez les Verts : la grande évasion fiscale et la vendeuse de sextoys bio !
Pour autant, l’évasion fiscale n’est pas donnée à tout le monde : ne peuvent emporter de valises en Suisse que ceux qui gagnent des sommes substantielles !
J’ose le dire : il y a certainement en pourcentage plus de citoyens malhonnêtes en prison que d’élus malhonnêtes en liberté... J’ai bien dit « en pourcentage ».
C’est pourquoi il ne faut pas confondre honnêteté, contrôle et transparence.
Qui plus est, ces mêmes citoyens, si prompts à déclarer dans les sondages qu’ils nous estiment corrompus, sont pourtant les premiers à redonner leur confiance à des élus qui ont été effectivement condamnés. Ils ne s’interrogent même pas sur le message qu’ils envoient aux élus honnêtes : « Peu importent vos fautes, nos voix vous laveront de tous vos péchés. » L’onction démocratique est une amnistie, »¦
M. Patrice Gélard. Une absolution !
Mme Hélène Lipietz. »¦ une amnésie populaire.
Après ces »“ j’espère »“ belles paroles, mes chers collègues, vous pourriez croire que les écologistes aiment nager en eaux troubles et se satisfont de ce texte. Eh bien non ! Non pas parce que nous voulons laver plus blanc que Vert, mais parce que nous n’aimons pas faire les choses à moitié.
De deux choses l’une : soit, comme certains l’ont proposé, on se contente de la législation actuelle en ne la retouchant qu’à la marge, comme pour le cumul des mandats (Mme Cécile Cukierman s’exclame) ; soit on dévide l’écheveau des intérêts, des revenus et des patrimoines pour mieux l’analyser, car l’écologie est la science de l’interaction des vivants.
C’est pourquoi, alors même que certains d’entre nous, sans attendre les rebondissements de ces derniers temps, ont fait le choix, libre et éclairé, de publier leur patrimoine, l’utilisation de leur réserve et autres affaires d’argent, les écologistes présenteront des amendements visant à moins d’opacité. Rappelons que les écologistes sont pour la publication de toutes les déclarations sous forme de données ouvertes, bien entendu de manière totalement anonyme.
J’en viens à la collusion avec les entreprises. Il est évident que les sphères économiques ont bien plus d’influence sur nos concitoyens que les petites décisions que nous pouvons prendre ici. C’est cela qu’il faut surveiller de près : l’influence des groupes, entreprises, lobbies sur nos votes qui vont parfois à l’encontre de l’intérêt général, de l’environnement, de la santé, de l’éducation. Je sais, je radote, mais c’est exprès !
C’est là que doit se concentrer l’exigence de transparence.
Où sont déclarés les cadeaux, si courants qu’ils sont omis par tous : invitations à des voyages, dans des restaurants de luxe, y compris par des sociétés de fast food ? Comment faire de la peine à quelqu’un, un groupe ou une société devenu un familier ?
Personne n’est parfait. Le conflit d’intérêts est toujours possible, mais il faut l’afficher. C’est pour cela qu’au Conseil de l’Europe les conflits d’intérêts doivent être déclarés.
Nous défendrons également un amendement sur les assistants parlementaires qui sont ou seraient mis à disposition par des groupes de pression. Il est nécessaire que le public le sache et n’ait pas à deviner de qui il s’agit.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme Hélène Lipietz. Cependant, dans le même temps, il faut donner à nos collaborateurs, que je remercie du travail qu’ils accomplissent pour nous, un véritable statut et élaborer une convention collective qui les protège des abus inhérents à leurs missions d’assistance, en tout lieu et à toute heure, de leurs parlementaires.
Nous souhaitons que différentes chartes de déontologie soient mises en place pour chacun des trois pouvoirs et nous espérons que le quatrième pouvoir, le pouvoir journalistique, fera de même.
M. Henri de Raincourt. Ah ben oui !
Mme Hélène Lipietz. Quant aux sanctions contre les élus, si elles doivent avoir lieu, elles doivent d’abord venir des pairs : c’est à chaque assemblée, chaque gouvernement, chaque ministère, ne plus tolérer en son sein des brebis galeuses.
Enfin, si nous aurions aimé que la peine d’inéligibilité soit non relevable, nous n’avons pas maintenu l’amendement que nous avions rédigé à cette fin car son adoption aurait créé un fâcheux précédent pour les simples citoyens condamnés. C’est pourquoi nous y avons renoncé !
En effet, nous savons être magnanimes, et le peuple, lui, est souverain. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. »“ M. Jean Boyer et M. le rapporteur applaudissent également.)