Première lecture

Référendum d’initiative parlementaire

Modification de l’article 11 de la constitution

samedi 9 mars 2013, par Hélène Lipietz, Aurélien Vernet

Nous examinions en séance publique le 28 février 2013 deux textes d’application de l’article 11 de la constitution révisé en 2008.

Les deux textes étaient en discussion commune, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire.

La vidéo de mon intervention est en fin d’article.

Voir en ligne : La constitution de la Ve République

Pour commencer, nous devons bien lire l’article 11 de notre constitution dans sa version de 2008 :

« article 11, Modifié par LOI constitutionnelle n °2008-724 du 23 juillet... - art. 4

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.

Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.

Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin.

Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation. NOTA :

Loi constitutionnelle n ° 2008-724 du 23 juillet 2008 article 46 I : Les articles 11, 13, le dernier alinéa de l’article 25, les articles 34-1, 39, 44, 56, 61-1, 65, 69, 71-1 et 73 de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application. »

Cet article visait à la mise en œuvre d’un référendum d’ "initiative partagée". Nous n’aurons au final qu’une proposition de loi référendaire d’initiative parlementaire. Bien loin des fantasmes de certains commentateurs qui voyait déjà naître un « référendum d’initiative populaire » à la française.

La réalité est évidemment moins reluisante, et si d’aventure des parlementaires mettaient en œuvre le mécanisme, il sera extrêmement compliqué de réunir 4,5 millions de signatures. A titre de comparaison pour une initiative citoyenne européenne, il suffit d’un millions de citoyens dans 7 pays européens.

En suivant le lien suivant vous trouverez le compte-rendu intégral des débats. Ronan Dantec, sénateur breton, a, bien sûr, soutenu le "cavalier législatif" introduit par voie d’amendement à l’Assemblée Nationale par les députés François De Rugy(Ecologiste) et Marc Le Fur (UMP).

Je vous livre ici le texte que j’ai prononcé lors de la discussion générale en séance publique.

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

Je voudrai tout d’abord saluer notre rapporteur et président de la commission de Lois, Jean-Pierre Sueur, qui a effectué un travail de clarification et de codification qui mérite d’être salué, sur cette (ces) projets de loi pour la mise en œuvre de l’article 11 de la constitution, dans sa version de 2008.

Nous pourrions nous interroger sur notre promptitude à mettre en application notre loi fondamentale :

5 ans pour mettre en œuvre les modifications actées par le congrès, c’est peut-être un peu trop long.

Non qu’il faille se précipiter, car les lois d’applications doivent être rédigées sereinement, mais nous devons néanmoins garantir l’application de notre constitution dans des délais raisonnables.

Ce délai a d’ailleurs permis tous les fantasmes sur le contenu de l’article 11 »¦ Nous allions enfin être une démocratie directe avec un référendum d’origine populaire »¦

Or l’article 11 n’est nullement d’initiative populaire mais d’initiative parlementaire, d’où d’ailleurs la proposition de changement de nom faite par notre rapporteur : nous sommes passés d’ « une initiative référendaire » à « une proposition de loi référendaire », ce qui limite la confusion avec le concept d’ « initiative populaire ».

Comme pour d’autres articles de notre constitution, les conditions posées à "la proposition de loi référendaire" ont pour effet de limiter de manière extrême les cas d’application effective du mécanisme.

La portée du processus démocratique direct est donc bien inférieur à ce que les écologistes appellent toujours de leur vœux.

Ainsi la Constitution, en prévoyant le recueil des signatures de 10% des électeurs, oblige trouver plus de 4 millions de signatures, ce qui relèvera certainement de l’exploit :

Malgré une couverture médiatique intense, les opposants au mariage pour tous peinent à réunir un million de signatures contre ce projet, on peut donc douter qu’aucune proposition réunisse un jour les signatures nécessaires.

Les critères européens pour une Initiative citoyenne européenne sont nettement moins restrictifs, puisqu’il suffit d’un millions de signatures dans 7 pays de l’UE.

Les rares parlementaires qui réuniront ces 4 millions de signatures, seront dignes d’être statufiés et leur statue d’être exposée soit dans notre hémicycle soit au musée Grévin.

Et cette statue ne sera certainement pas en marbre vert ou rouge comme il l’a déjà été souligné !

Une fois cette écueil dépassé, le travail parlementaire restera la norme, tant il est évident que le passage à la moulinette parlementaire du texte initial aura respecté le délai d’un an pour examiner la proposition afin d’éviter à tout prix la soumission au référendum par le président la république.

Tout au plus cette proposition de loi »œnouveau genre » aura pour avantage de faire travailler, en amont même de son dépôt, les parlementaires des deux chambres, puisque rien n’empêchera que les initiateurs soient des sénateurs et des députés.

Sur la proposition elle-même, peu de chose à dire si ce n’est qu’attirer votre attention sur les risques et les dérives potentiels du recueil des signatures de soutiens par voie électronique

Au risque de paraître »œun peu archaïque » comme il me l’a été reproché en commission des loi, je vous rappelle l’existence certaine, avérée et déplorée de la fracture numérique dans notre pays, par le manque d’infrastructures dans certaines régions, mais aussi et surtout par la fracture culturelle et éducative et encore parfois générationnelle concernant l’utilisation des outils numériques et puis la machine n’est pas un signe de rapidité et/ou d’efficacité, comme nous l’avons vu pour le vote des français de l’étranger.

En comparaison, la Suisse a appelé ses électeurs aux urnes référendaires 49 fois entre 1995 et 2011 pour répondre à 140 questions, qu’il s’agisse de référendum d’initiative populaire ou du droit d’initiative des citoyens pour modifier leur propre constitution.

En France nous n’étions convoqués que 2 fois durant la même période !

Et pourtant, le recueil des signatures sur trois mois (100 000 pour 7 millions d’électeurs) se fait encore manuellement, en porte à porte, sur les marchés, devant les gares...

Comme quoi, le papier et le rapport humain n’est pas un frein à la démocratie !

C’est pourquoi et surtout, j’assume totalement le prix de la démocratie :

demander son soutien à un citoyen pour faire une loi relève d’un rapport de citoyen à citoyen et non de citoyen à machine, alors même que l’on sait que les machines peuvent être l’objet de détournement : même l’armée américaine en a été victime (Souvenez-vous des Drones prédators américains piratés en Irak à l’aide d’un logiciel coûtant 30 dollars sur internet )

La démocratie a un coût mais elle n’est pas un luxe, à nous de savoir la faire vivre en ne la déshumanisant pas et même en allant plus loin. Nous écologistes sommes profondément attachés à toutes les formes de démocratie citoyenne et nous regrettons les restrictions constitutionnelles à l’émergence de ces formes à un échelon national ou territorial.

Notre Constitution pourrait être bien plus ambitieuse que nous ne le sommes actuellement en actant un droit d’initiative citoyenne et non plus seulement parlementaire.

Voila une belle et moderne proposition pour un futur congrès n’est-ce pas ?

Ce droit d’initiative citoyenne fonctionne au niveau européen, il est étonnant que cela soit impossible en France.

Je rappellerai pour mémoire, voire in mémoriam, le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires consacré par l’article 4 de l’ordonnance du 17 novembre 58.

A l’assemblée nationale lors de la précédente législature, sur les 36 pétitions reçues, aucune ne fut renvoyée à un ministre ou à une commission permanente.

Concernant le Sénat, l’information fut plus difficile à trouver, mais je peux vous dire que nous ne respectons l’article 88 de notre règlement, qui stipule que les pétitions sont renvoyées à la commission des lois pour instruction !!,

Le saviez-vous monsieur le Président de la commission des lois et cher rapporteur ?

Nous ne respectons qu’un certain formalisme !!

En réalité la place accordée aux pétitions est nulle, elle ne sont même pas archivées sur le site internet du Sénat alors même que nous faisons confiance aux machines pour récolter les signatures !.

Ce que souhaitent les écologistes, ce sont de véritables initiatives citoyennes qui permettent d’inscrire à l’ordre du jour d’une assemblée, nationale ou locale, un sujet dont l’importance mobilise les citoyens, et non comme pour l’article 11 de soutenir une proposition de loi !

C’est un système qui permet aux citoyens de porter un projet de loi vers le parlement lorsqu’il réunit un certain nombre de citoyens, 500 000 par exemple, résidant dans l’ensemble des territoires de la république, sur le modèle de ce qui se fait pour les initiatives citoyennes européennes.

C’est également la possibilité de référendum locaux, d’initiative citoyenne.

Si nous voulons que les citoyens/citoyennes reviennent aux urnes, ce n’est pas simplement le non-cumul des mandats ou la timide reconnaissance du vote blanc, comme nous l’examinerons tout à l’heure qui seront l’élément déclencheur de ce retour, mais l’affirmation que leur signature comptera pour faire entendre leur voix. Et nous ne craignons nullement les lobbies.

Nous devons donc rendre nos concitoyens réellement acteurs de la politique à la fois locale et nationale et pas seulement lorsque nous les appelons aux urnes car nous défendrons également lors de la réforme territoriale des mécanismes de co-construction des décisions avec les citoyens, tel les conférences de consensus (que vous connaissez bien madame la ministre) ou encore les conférences de citoyens.

Contrairement à votre analyse, madame la Ministre, de la démocratie telle que présentée par Montesquieu [1]. ou même par Rousseau, je pense qu’il faut que nous revoyons notre vision de celui-ci.

J’ose en effet, très respectivement et humblement critiquer Montesquieu car si Montesquieu est un grand visionnaire de la démocratie, force est de constater que la démocratie de Montaigne ne correspond plus à notre vision de la démocratie :

Il ignorait en effet que les femmes faisaient partie du peuple démocratique : « leur avantages naturels sont autant de compensation à l’inégalité de leurs droits, car la Nature a distingué les hommes par la force et la raison... » (dictionnaire électronique de Montesquieu)

Et j’en profite pour saluer un projet qui je pense fera parler de lui dans les mois et les années à venir, celui de « parlement et citoyens », qui tente de rapprocher les citoyens et les parlementaires dans cet esprit d’enrichissement mutuelle et de coopération pour l’élaboration des lois de notre pays.

Je vous remercie de votre écoute attentive.

Discussion générale Article 11

Notes

[1La ministre a expliqué cette référence

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