épilogue ?

l’opinion de l’avocat après l’arrêt du conseil d’Etat

vendredi 11 janvier 2008, par Rémi ROUQUETTE

Chacun doit le savoir désormais, le Conseil d’État a cru bon de juger que la compétence pour juger l’affaire Lipietz contre la SNCF relève de la juridiction judiciaire au motif que la cour administrative d’appel a pu apprécier souverainement que la SNCF n’exerçait pas de prérogatives de puissance publique ou qu’elles n’étaient pas à l’origine du préjudice subi.

On trouvera l’arrêt sur le site du Conseil d’État si l’on tient vraiment à le lire. Quelques brèves observations s’imposent quand même.

Tout d’abord le Conseil d’État n’a daigné jugé l’affaire qu’en une formation ordinaire, à comparer avec l’attention plus soutenue porté à l’appel en garantie jadis porté par Papon contre l’État.

On a souvent vu le Conseil d’État plus exigeant pour contrôler la qualification de faits qui gouvernent la compétence car il ne se borne pas, contre toute attente, à considérer que le litige est judiciaire, mais il indique clairement que pour lui s’il était administratif la SNCF ne serait pas responsable l’État étant le seul fautif. Il est quand même quelque peu paradoxal de part d’une juridiction qui est censée simplement juger le procès d’appel se plonger ainsi dans le cœur du litige et d’usurper ainsi la compétence qu’il vient de reconnaître au juge judiciaire…

L’étrangeté dans cet arrêt n’est pas la règle de droit appliquée. Celle-ci était sans surprise et c’est celle que les requérants ont constamment invoqué (contrairement à la Sncf qui au début tentait de faire accroire que les internés étaient des voyageurs ordinaires d’un service industriel et commercial). La surprise est que le Conseil d’État considère qu’il n’y avait pas de prérogatives de puissance publique, aux termes d’une motivation lapidaire, faisant suite il est vrai à des conclusions quelque peu sommaires, sans la moindre interrogation sur le contenu théorique ni même la dimension concrète de ce qu’est la prérogative de puissance publique.

Les Hurons pourront s’étonner que la délivrance de certificat de navigabilité par une société privée relève du juge administratif car existe la fameuse prérogative de puissance publique (CE, 23 mars 1983, n° 33803 & 34462, SA Bureau Véritas et autres, concl. Denoix de Saint-Marc) tandis que le transport d’êtres humains dans des wagons à bestiaux plombés ne manifeste pas une telle prérogative : il est bien connu que tous les jours toutes les compagnies de train du monde plombent leurs trains de voyageurs, assoiffent leurs usagers et les privent d’hygiène, donc circulez, il n’y a rien à voir

Mais ne soyons pas naïfs. Le Conseil d’État a tapé en touche, estimant devoir partager cette tâche de purger les derniers contentieux de la seconde guerre mondiale avec le juge judiciaire. Il est pourtant des affaires où il a pu se trouver plus accommodant pour éviter les partages de contentieux. On a dû mal à comprendre que les litiges sportifs relèvent du juge administratif et pas ceux du transport contraint. Mais il ne faut pas chercher une compréhension juridique à une solution qui n’est au fond qu’une décision d’(in)opportunité.

Il est réellement insupportable que des personnes victimes d’un préjudice réellement unique causé conjointement par l’État et une compagnie ferroviaire à monopole doivent faire deux procès pour tenter d’obtenir réparation.

Et sur un autre plan, on ne m’ôtera pas l’idée de la tête que le changement de composition de la cour administrative d’appel juste avant le délibéré avait pour but exclusif de donner un arrêt à la convenance de celui qui a compétence pour changer la formation de jugement ; peu importe du reste que cette intention ait été ou non là : l’apparence de l’intention y est et cela est insupportable si l’on croit à la justice.

À cette heure, tous les requérants savent donc qu’ils doivent faire deux procès l’un devant le TGI contre la SNCF l’autre devant le tribunal administratif contre l’État.

Devant le TGI l’affaire n’est pas forcément perdue d’avance. Certes feu Kurt Schaechter s’est vu opposer la prescription, mais il n’a guère fait valoir que les livres impudemment invoqués par la SNCF pour établir la connaissance des faits étaient muets sur les questions essentielles : la participation de la SNCF aux conférences sur la déportation, le fait qu’elle se faisait payer, qu’elle protestait contre tout ce qui pouvait ralentir l’exécution du service public etc.

Devant les tribunaux administratifs, rien n’est joué. Du temps de Chirac, l’État n’avait que mollement invoqué la prescription et il n’avait pas fait appel, mettant ainsi son comportement presque en conformité avec ses discours. Il est à craindre qu’avec un Président de la République qui déteste la repentance, qui aime les victimes mais pas celles d’une période aussi ancienne, l’État se batte sur la prescription, ce qui ne signifie pas qu’il gagnera.

Après temps de combats, après l’exaltation des temps de gloire et la dépression perpétuelle que générait la lecture des nombreux ouvrages parus sur cette période, l’avocat peut être, comme ses clients, quelque peu amer.

Mais il ne le faut pas. Même perdu devant le Conseil d’État parce que celui-ci a interprété contre l’évidence ses propres règles de compétence, le procès a apporté bien du neuf. Nul ne sérieux ne peut ignorer aujourd’hui que la SCNF était pleinement volontaire et se faisait payer ; quelques historiens peuvent bien clamer qu’il est scandaleux que des non historiens fassent des recherchent et parlent de ces faits, un mouvement a été lancé et l’on sait contre la volonté de certains historiens ce qu’a été la SNCF dans cette sombre période.

Le mouvement passe du droit à l’histoire, non pas l’histoire confisquée et convenue de quelques historiens cherchant à s’arroger un monopole, mais l’histoire du peuple qui plonge dans son atroce passé.

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