Quelles transformations économiques pour favoriser la création d’emploi dans les pays méditerranéens ?

mercredi 24 octobre 2012, par Aurélien Vernet

Le statut de parlementaire implique d’être invitée très largement à un grand nombre d’événements, rencontres, séminaires, tables rondes...

Lorsque le sujet revêt un certain intérêt, mais que je ne peux m’y rendre moi-même, ce qui arrive souvent, mes assistants parlementaires se portent parfois volontaires pour y assister (ce qui pour des assistants est logique) !

C’est ainsi qu’Aurélien est parti à Marseille, ville qu’il connaît bien, pour y suivre une table ronde consacrée à l’emploi sur le pourtour méditerranéen et je lui laisse volontiers les pixels...(note de la sénatrice).

Voir en ligne : Institut de Prospective économique du monde meditérranéen

La table ronde se tenait au palais de la bourse à Marseille, sur la Canebière. Elle réunissait des intervenants de divers organismes méditerranéens : la Caisse des Dépôts, l’OCEMO (Moyen-Orient), l’IPEMED (Tunisie), PROMOS (Milan), l’IEMED (Barcelone).

Les enjeux sont importants, puisque dans la zone MENA (Moyen-Orient et Afrique-du-nord) habitent 280 millions de jeunes de moins de 24 ans, soit environ la moitié de la population. D’autre part, les flux commerciaux entre les rives de la méditerranée sont intenses, et les flux migratoires également.

Les créations d’emploi sont moins rapides que le nombre d’individus arrivant sur le marché du travail. A titre d’exemple, en Tunisie, les projections économiques montrent que, au maximum, il y aura 4,5 % de croissance dans les prochaines années, ce qui ne fait que 75000 emplois créés par an, ainsi le stock de 800 000 chômeurs grossira de 15 000 par an. Il faut alors imaginer un autre modèle de croissance et de développement, car le modèle actuel ne répondra aux attentes sociales de la population et laissera sur le côté quasiment 20% de la population active comme actuellement.

La situation sociale est peu reluisante dans l’ensemble du Maghreb :
 40 % de la population dans le monde Arabe est analphabète.
 La pauvreté est très importante : 40 % population en Égypte.
 En Tunisie : 8 % pauvreté extrême et 15 % pauvreté relative.

Tous les pays ont connu une croissance à long terme, avec une ampleur et une stabilité variable. Ils ont montré une capacité à attirer les investissements directs extérieures importante. Malheureusement, cette croissance fut sans emploi et sans développement. Les problèmes de répartition régionale, sociale et générationnelle n’ont fait qu’aggraver le phénomène. Les exclus ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Plus on est instruit, plus il y a de risques de se retrouver au chômage ! C’est l’un des paradoxes de ces pays où les familles ont investi beaucoup dans l’éducation de leurs enfants mais où l’économie n’a pas connu les transformations permettant d’intégrer ces nouvelles générations éduquées à des postes qui correspondent à leurs qualifications.

Une des grilles d’interprétation est la mauvaise gouvernance, l’accaparement du pouvoir par des partis uniques, et la non-participation des parties prenantes et des populations aux réflexions et aux décisions économiques et sociales...
Le développement des économies de rente, en lien avec des privilège et la proximité du pouvoir : banque, automobile, distribution, téléphonie, immobilier.

Quel modèles économiques ?

A part les industries de rente, à savoir pour une grande partie les industries extractives, les balances commerciales sont déficitaires et les industries extractives créent peu d’emplois. Ensuite, les industries de main d’œuvre, concernant principalement le Maghreb, sont dépendantes des donneurs d’ordres, il s’agit de sous traitance à bas prix favorisant les emplois non qualifiés. Ces industries de main-d’œuvre subissent de plein fouet la concurrence des pays d’Asie et les effets rebonds de la crise financière.

La balance des paiements fonctionne grâce à différents moyens : les transferts des migrants, le tourisme et les investissements directs étrangers. Pour l’Égypte, c’est la rente du canal de Suez, en plus du pétrole et du gaz, qui permet les rentrées.

Le tourisme, principalement en "low-cost", les tours operator tirent les prix vers le bas et préfèrent le développement des complexes touristiques, cela génère donc peu d’emplois et un faible développement du petit commerce. L’épargne des migrants sert essentiellement à la consommation, donc peu à l’investissement.

Quel chemin de croissance tracer ?

Évidemment, comme beaucoup de Verts-Vertes, lorsqu’on me parle de croissance, j’ai toujours un peu le poil qui se hérisse, mais je vous livre tout de même le point de vue des orateurs et des extraits de leurs interventions :

La croissance dans les pays du pourtour méditerranéen devrait être encouragée par les mesures suivantes :

 Des politiques de soutien aux PME
 Développer la collaboration entre entreprises, entre pays de la rive sud, mais aussi avec la rive Nord.
 Développement des politiques publiques locales.

Ces mesures et politiques devant selon les orateurs accompagner la libéralisation du marché, ce qui n’a pas forcément la même connotation négative qu’en Europe, puisque le marché était verrouillé dans la plupart des pays de la rive sud au niveau politique : Les investissement ne sont possibles que si l’on réunit un certain nombre de conditions :
 Sécurité des transaction.
 Sécurité institutionnelle.
 Sécurité politique.

Un des orateurs m’a tout de même agréablement surpris en évoquant un chemin différent :

"Il faut imaginer un autre modèle de croissance",

"Il faut qu’il y ait de la déconcentration, c’est le préalable à une véritable décentralisation, qui amène alors la participation des différents acteurs économiques et renforce l’innovation ! C’est le seul moyen de répondre à l’objectif de désenclavement des régions intérieures !"

"Parmi les plus grands besoins aujourd’hui, figure celui de la justice et surtout de l’application de ses décisions, également une transparence des marchés publics !

Il faut réfléchir à la montée en puissance des parties prenantes, c’est une volonté des populations, mais les gouvernants ne sont pas prêts à leur donner ce pouvoir !"

"La stabilité en zone sud méditerranée et une croissance forte sont des atouts pour l’Europe, mais il va falloir aider ces pays, car tout seuls, ils ne vont pas réussir à faire les changements nécessaires ! Il faut une sorte de plan Marshall pour la méditerranée."

"L’obsession des partis islamistes hors salafistes, c’est de plaire, de créer un système économique ouvert et stable, un message de modération et des politiques proches de ce que se fait actuellement. Pas de messages radicaux, pas de reproches de l’époque coloniale, etc."

"Ces gouvernements seront jugés sur les déséquilibres régionaux : vont-ils décentraliser ? En Libye c’est tabou, en Tunisie et en Égypte c’est très difficile."

"Aujourd’hui les subventions d’Etat vont vers les plus riches, et non vers les populations qui en ont besoin."

"Seront-ils prêts à l’intégration sud-sud, à la collaboration avec le Nord, Il faut sortir des économies de rente »¦"

"Quels sont les atouts de ces régions, ils doivent nous donner des raisons d’optimisme ! L’émergence des nouvelles élites économiques moins liées au pouvoir ! Et d’une classe moyenne !"

"La région ne doit plus être considérée comme une menace, mais comme un atout pour l’Europe."

"Clientélisme très fort, les citoyens sont pris en otage par ceux qui détiennent les ressources et les distribuent !"

"Les attentes sont fortes de la part de la population pour changer les choses !

Les 3 exigences des révolutions :
 La voix, liberté de penser, de réunion, etc.
 De meilleurs conditions sociales
 De meilleures opportunités économiques

Pour le moment, ce n’est pas un pouvoir installé sur le long terme !"

"Différence fondamentale entre la Turquie (kémalisme) et le reste de la région : la laïcité et la liberté d’expression y sont installées depuis longtemps...(note de la Sénatrice : cela se discute).

On déchante de la proximité du Quatar et de l’Arabie Saoudite, on les a vus financer les mouvements salafistes pour les Saoudiens et les Islamistes « modérés » pour le Quatar."

"Quel que soit le scénario d’évolution, l’Europe a besoin de ces pays émergents pour maintenir le leadership régional et mondial.

Cela passe par la satisfaction des revendications des révolutions arabes."

En guise de conclusion, on peut remarquer qu’en dépit d’une situation économique et sociale assez défavorable aux populations des pays de la rive sud méditerranée, les ressources et le dynamisme de ces pays peuvent être vus comme un atout dans la sphère d’influence de l’espace économique européen, mais également à terme, une sphère d’influence politique équilibrée et basée sur une réciprocité et un échange équitable !

Le chemin est encore long et la stabilité de la région dans les prochaines années, comme l’ouverture des régimes politiques seront déterminants pour l’avenir de la zone.

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