La santé en Seine-et-Marne : une question de fond

Echanges et retours d’expériences du chargé de mission Politique de santé et Démographie des professionnels de santé sur le 77

dimanche 7 juillet 2013, par Hélène Lipietz, Aurélien Vernet, Emmanuelle Orvain

La Seine-et-Marne qui figure déjà parmi les 10 départements qui comptent le moins de médecins en France, va encore en perdre près d’un tiers dans les 5 ans à venir, comme d’autres départements. Le temps est venu de prendre des mesures énergiques pour garantir l’accès de tous à la santé.

Voir en ligne : La démographie médicale du département seine-et-marnais

Déserts médicaux : l’Ile-de-France est concernée

La préoccupation de la désertification médicale n’est pas une singularité Seine-et-Marnaise. Elle concerne beaucoup de départements français, principalement ruraux, mais aussi périurbains et même de première couronne comme la Seine-Saint-Denis. L’Ile-de-France n’est pas exempte de problèmes puisque l’Agence Régionale de Santé (ARS) estime que sur les 10 000 médecins (en ville et à l’hôpital) qui cesseront leurs activités dans les 5 ans à venir, seuls 5 000 seront remplacés par les jeunes médecins.

1/3 des médecins du département partira en retraite d’ici 5 ans

La Seine-et-Marne est dans une situation particulièrement inquiétante. D’ores-et-déjà , avec une moyenne de 80 médecins pour 100 000 habitants en 2010, elle figurait dans les 10 départements de France les moins denses en médecins généralistes par rapport à sa population.

A l’intérieur du département, la situation est contrastée. Quand Melun a une densité de 130 généralistes pour 100 000 habitants, une douzaine de pôles ruraux (La Chapelle-la-Reine, Mormant, Lizy-sur-Ourcq, Bray-sur-Seine, etc.) en compte déjà moins de 60 pour 100 000 habitants. Dans ces cantons apparaissent des phénomènes inquiétants. Les médecins, débordés, refusent de prendre de nouveaux patients : les nouveaux habitants sont parfois obligés de consulter le médecin de famille de leur ancien lieu de résidence !

A Rozay-en-Brie, les médecins renvoient les patients qu’ils ne peuvent recevoir à Pontault-Combault, à plus de 30 km de là  ! Les délais de prise de rendez-vous s’allongent considérablement. Par endroit, les médecins ne reçoivent plus pour certains motifs de consultations. Ils priorisent les cas les plus graves par rapport par exemple aux certificats médicaux sportifs, alors même que de telles consultations « hors pathologie » sont un bon moyen de prévention et d’éducation à la santé.. Mais dans d’autres cas, ce sont les patients le plus durement touchés qui peinent à trouver un médecin »¦

Et dans les cinq années à venir, les services du Conseil général estiment que la situation va nettement s’aggraver. La Seine-et-Marne pourrait perdre un tiers de ses médecins de ville du fait des départs en retraite et des difficultés à attirer les jeunes médecins. La densité moyenne en médecins pourrait passer à 55 pour 100 000 habitants, c’est-à -dire au niveau actuel des cantons les plus déficitaires.

Plus grave, ce sont les territoires déjà les plus touchés qui perdront le plus de médecins et pourraient passer en dessous de 40 médecins pour 100 000 habitants. A un tel stade, les conséquences pour les usagers pourraient être très lourdes, avec une impossibilité chronique des habitants à se faire soigner convenablement. L’impact serait également très fort sur les médecins et le système de santé. Face à une telle charge de travail, la pression subie par les médecins est susceptible d’entrainer de nouveaux départs. Elle est en tout cas totalement dissuasive pour l’installation de nouveaux praticiens, ce qui peut rendre la situation irréversible. Enfin, les patients n’ayant pas d’autre recours, ce sont les urgences des hôpitaux de proximité qui seront constamment monopolisées, alors même que cette activité fait partie de celles qui « plombent » financièrement les hôpitaux.

La situation est encore plus critique si l’on considère les spécialistes.

Ophtalmologistes, dentistes, pédiatres, psychiatres, etc. deviennent tellement rares que l’ARS elle-même les compare aux tigres du Bengale : une espèce en voie de disparition. En espérant qu’ils ne soient pas, à très court terme, l’équivalent du Loup de Tansmanie ! Le phénomène touche également les hôpitaux des territoires déficitaires, qui dénombrent de plus en plus de postes vacants. Au point que l’ARS en vienne à fermer certains services de chirurgie ou de maternité, faute d’anesthésistes ou de chirurgiens pouvant assurer l’activité dans des conditions minimales de sécurité. Cela a des conséquences sur les établissements mêmes : la maternité de Montereau a été rétrogradée faute d’anesthésiste, par exemple. Les personnes sont renvoyées sur Fontainebleau (à 24 km de là ) au mieux ou sur Evry (57km) au pire. Cela pose également la question de la mobilité d’une population vieillissante.

Comment en est-on arrivé là  ?

Comment en est-on arrivés là , alors même que selon l’atlas de la démographie médicale qui vient de paraître, le nombre de médecins en France ne baisse pas significativement ?

La première cause du problème réside avant tout dans la très inégale répartition des médecins sur le territoire. Actuellement, la densité moyenne de médecins à Paris est deux fois supérieure à celle de la Seine-et-Marne. Si l’on regarde plus finement à l’intérieur des départements d’Ile-de-France, les écarts peuvent même aller de 1 à 10. Les médecins étant totalement libres de leurs choix d’implantation, ils sont beaucoup plus nombreux à s’être installés à Paris (207), dans les Hautes-Alpes (207) ou l’Hérault (164) qu’en Seine-et-Marne (104), dans le Cher (107) ou même dans l’Ain (103). Pour simplifier, les patients ne manquant nulle part, les médecins préfèrent largement s’installer en ville et au soleil qu’à la campagne et dans le froid »¦

Ensuite, les modes d’exercice des médecins évoluent. D’une part, à la sortie de la faculté, ils sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux à choisir l’exercice salarié (à l’hôpital, dans les laboratoires, en centre de santé) que l’exercice en ville. L’année de leur inscription, les deux tiers des nouveaux médecins choisissent un exercice salarié, contre seulement 10% un exercice libéral exclusif. D’autre part, les jeunes médecins ne veulent plus exercer de la même manière que les générations précédentes. Ils ne souhaitent plus, comme le font une part encore importante des médecins aujourd’hui, exercer seuls dans un cabinet isolé où ils reçoivent des patients à la chaine de 7h du matin à 21h.

On constate que les jeunes générations veulent maitriser leur temps de travail pour préserver leur vie personnelle et familiale. Ils souhaitent aussi exercer en groupe, dans des structures comptant non seulement plusieurs médecins, mais aussi des infirmiers, kinés, orthophonistes, psychologues, etc. Ces structures collectives leur permettent d’être remplacé pendant leurs absences, d’échanger sur les situations complexes, d’exercer dans un cadre sécurisé, de mutualiser les frais de secrétariat, de comptabilité et d’immobilier. Ils veulent enfin rester connectés à leurs facultés et à un réseau de spécialistes auxquels ils pourront adresser leurs patients.

Ces conditions idéales, ils sont peu aujourd’hui à imaginer les trouver en zone rurale ou urbaine sensible. L’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) sensibilise les jeunes praticiens à la problématique des déserts médicaux.

On forme plus de médecins depuis l’assouplissement du numerus clausus, mais l’offre médicale n’augmente que faiblement au niveau global car outre le départ en retraite des "vieux médecins des trente glorieuses, on observe une diminution de la quantité de travail de -20% du temps médical.

Mais alors, que peut-on faire ?

D’ores et déjà , un certain nombre d’acteurs ont pris des initiatives pour contrer ces évolutions. Dès 2009 le Conseil général de Seine-et-Marne a adopté un plan en faveur de la démographie médicale. Les principales mesures de ce plan sont :
  la création de bourses aux étudiants en médecine qui s’engagent à venir exercer dans les zones déficitaires
  le développement des stages d’étudiants en médecine, qui leur permettent de découvrir le territoire
  le soutien à la création de Maisons de Santé, c’est-à -dire de structures où les médecins exercent à plusieurs et avec d’autres professionnels de santé. Ces « éco-systèmes de santé » permettent notamment d’offrir aux jeunes médecins les conditions d’exercice qu’ils recherchent. Près d’une cinquantaine sont en projet dans le département.
  Encourager les pôles de compétitivité qui travaillent par exemple sur des projets de fauteuils de diagnostic médical pour savoir si une personne âgée doit être hospitalisée ou non en transférant le diagnostic au médecin de garde (tension, poids ... sont mesurés par de tel fauteuil !). Ce type d’inventions soulève la question de la responsabilité entre maison de retraite et médecin de garde.

L’Agence Régionale de Santé soutient également la création des maisons de santé. Elle a mis en place avec l’Union Régionale des Professionnels de Santé des permanences mensuelles d’aide à l’installation des médecins, et une journée annuelle de découverte du territoire.

La Région Ile-de-France, elle aussi, a mis en place divers dispositifs d’aide comme un système de bourses aux étudiants en professions de santé, de soutien la création de maisons de santé ou encore d’appui aux praticiens situés en zones déficitaires.

Au niveau national, Marisol Touraine a récemment annoncé un Pacte Territoire Santé. Parmi les mesures mises en place, citons le développement des stages en médecine, un troisième système de bourses, le développement des maisons de santé ou encore de la télémédecine.

Le développement des actions de préventions, de santé environnementale ou d’éducation thérapeutique est aussi un levier important : face à la difficulté de se faire soigner, quoi de mieux qu’apprendre à ne pas tomber malade ?

Toutes ces initiatives vont indéniablement dans le bon sens.

Un problème quasiment insoluble

Un rapide calcul permet de juger que les bourses mises en place par le Gouvernement amèneront en moyenne 0,5 médecins par an et par département. Celles du Conseil général au mieux 4 à 5 médecins par an. Mais ce sont près de 350 médecins qui fermeront leurs cabinets en Seine-et-Marne d’ici 5 ans »¦

C’est pourquoi un certain nombre de sénateurs, parmi lesquels le Sénateur EELV Ronan DANTEC, posent aujourd’hui ouvertement la question d’une régulation du libre choix d’installation des médecins.

Cette régulation existe chez les infirmières. Depuis 2008, en vertu d’une convention passée entre les infirmières et l’assurance maladie, les infirmières ne peuvent plus s’installer dans les zones sur-dotées, et bénéficient au contraire d’avantages financiers lorsqu’elles s’installent en zone sous-dotée. En 5 ans le bilan est très net : le nombre d’infirmiers libéraux a cru de 30% dans les zones déficitaires, et baissé dans les zones sur-dotées.

Il ne s’agit pas, comme le laissent croire certains syndicats de médecins, de supprimer la liberté du choix du lieu d’installation. Il n’est pas question d’affecter autoritairement les médecins aux zones déficitaires. Mais simplement d’encadrer le libre choix des médecins, pour éviter que les inégalités actuelles ne perdurent et ne s’accroissent.

La question de l’impact international de nos politiques se pose également puisque l’appel d’air créé dans nos campagnes et nos banlieues par l’absence de médecins a attiré par milliers des praticiens venus de Roumanie, du Maghreb ou d’Afrique. Un quart des nouveaux médecins ont obtenu leur diplôme hors de France ! Peut-on vraiment se satisfaire de débaucher ainsi les médecins que ces pays ont formés, et dont ils ont besoin ? Il y a plus de madecins béninois en France qu’au Bénin !

D’autres pistes peuvent être explorées, comme le fait de confier dans chaque région à l’ARS ou au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) la responsabilité de gérer et de répartir équitablement les ressources humaines sur le territoire régional pour les professions les plus rares (anesthésistes, psychiatres, pédopsychiatres, chirurgiens).

Il y a maintenant urgence à agir rapidement, car en l’état actuel, la Seine-et-Marne, tout comme la Lozère par exemple, et leurs habitants ne pourront pas se permettre d’attendre quelques années de réflexions supplémentaires.

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