Proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu

présentée par le groupe UMP

vendredi 5 avril 2013, par Hélène Lipietz

Retenue auprès de ma tante à Nice, je n’ai pu dire l’opposition farouche des Ecologistes à la PPL appelée joliment par Perline « flics et flingues ». C’est donc André GATTOLIN qui l’a lue en la modifiant à peine, preuve que nous sommes bien sur la même longueur d’ondes... Merci André !

Voir en ligne : Dossier législatif

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Madame la Rapporteure,
Mes chers Collègues,

Il y a des textes qui sont pavés de bonnes intentions. Mais pour poser ces pavés, le remblais initial est lui plein de chausse-trappes mal comblées.

C’est pourquoi et pour filer la métaphore cette PPL ne tient pas la route, faute d’avoir été réfléchie.

Si nous la votions, les roues du char de l’État que sont la police et la gendarmerie ne pourraient que s’embourber.

En effet, comment ne pas s’indigner que des policiers soient blessés ou tués ?

Ils sont les serviteurs de notre état de droit, garant du respect de nos lois et de la sécurité de nos concitoyens. Ils sont en première ligne des angoisses de notre société, de ses déviances et de ses dérives. Ils ont de lourdes tâches à effectuer et qui ne consistent pas simplement seulement en l’arrestation de délinquants, mais aussi à alerter et assister les proches d’un décès, à enquêter sur des drames et évidemment en premier lieu à les prévenir.

Alors oui, protéger ceux qui nous protègent est un devoir fondamental.

Aussi et à première vue, cette PPL peut sembler apporter une plus grande sécurité aux policiers par l’alignement de leur régime sur celui des gendarmes en ce qui concerne les possibilités d’utiliser leur arme et de bénéficier d’une présomption de légitime défense.

Dans les faits, ces deux propositions n’apportent qu’une apparence de sécurité.

D’abord parce que ce texte démontre une méconnaissance du comportement des délinquants armés :

Aujourd’hui, les délinquants n’ont plus peur des force de l’ordre et, s’ils en ont encore peur, ils s’arment en conséquence.

Mais surtout, et le plus souvent un délinquant est persuadé de ne jamais se faire prendre, sinon, il ne serait pas délinquant.

Savoir que les policiers peuvent user dans des conditions moins draconiennes de leur arme, ne va certainement pas les dissuaderde tirer. Si les délinquants ont, par hasard, connaissance de cette nouvelle mesure, ne vont-ils pas, au contraire, être tentés de dégainerencore plus vite pour s’échapper, selon le vieil adage de « qui tire le premier a gagné » ?

Permettre aux policiers de tirer dans les mêmes cas que les gendarmes n’est donc pas protecteur mais participe surtout d’une surenchère.

Aujourd’hui, les policiers font déjà usage de leur arme tout comme les gendarmes : 250 cas par an sur des milliers d’arrestation, pour ces deux corps. S’il y a globalement aussi peu d’utilisation des armes, c’est que les policiers, tout comme les gendarmes, savent que cet usage est le dernier recours quand la vie de leurs concitoyens, de leur collègue ou d’eux-même est en jeu.

Leur laisser penser qu’ils pourront tirer plus tôt, plus vite, les exposera donc à un risque juridique plus grand doublé comme je viens de le rappeler d’un risque de riposte plus élevé.

En alignant le régime de l’usage des armes par les policiers sur celui des gendarmes, on crée une égalité de droit factice et surtout précaire. Qu’est-ce qui garantira aux policiers qu’ils sont dans le droit ? Qu’ils peuvent faire usage de leurs armes...  »¦alors même que la jurisprudence de la cour de Cassation reste très stricte pour les gendarmes en la matière ?

Mais surtout, les dispositions de cette proposition de loi ne sont-elles pas, avant même leur éventuelle adoption, déjà « condamnées » par la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation appuyée sur celle de la Cour européenne des droits de l’Homme concernant l’emploi de la force létale ?

Il est assez paradoxal de vouloir étendre aux policiers le cadre juridique d’une loi dont la conventionnalité n’est pas établie.

Cette égalité est d’autant plus factice que le texte ne reprend pas l’intégralité de l’article 2338-3 du code de la défense. A ce titre, le rapport très précis de notre collègue Virginie Klès pointe très clairement les faiblesses et les incohérences de cette PPL et les effets pervers au détriment des policiers eux-mêmes que son application pourrait induire.

Quand à la présomption de légitime défense, elle ne vaut que ce que valent les présomptions juridiques : elles sont l’exception à la règle commune et ne doivent pas dépendre de la personne qu’elles entendent protéger mais de la situation et des circonstances dans lesquelles cette personne agit.

Cette règle juridique est d’autant plus nécessaire que le port d’arme ne concerne pas exclusivement les forces de l’ordre, mais aussi les convoyeurs de fond, si souvent pris pour cible, ou encore les gardiens de prison et j’en passe.

Prévoir que seules les forces de l’ordre pourraient agir sous le statut protecteur de la légitime défense est un non-sens juridique. Si on a le droit de porter une arme c’est parce qu’on protège des intérêts dignes de protection et qu’on a suivi une formation au droit et au tir. Pourquoi donc seules deux catégories de porteurs d’armeseraient présumées toujours être en état de légitime défense ?

Enfin pourquoi les policiers et les gendarmes auraient-ils besoin d’attendre l’ultime moment, quand seul l’usage des armes peut arrêter la catastrophe, pourquoi auraient-ils à attendre alors qu’ils seraient protégés par une présomption de légalité du tir ?

N’est-ce pas prendre le risque d’un usage accru de leur arme,avec par conséquence le risque d’erreurs, de bavures et donc d’incompréhension de la population ?

Rappelons-nous qu’au bout du viseur d’une arme d’un policier ou d’un gendarme, présumé dans ce texte en légitime défense, il y a toujours un corps, celui d’un citoyen présumé innocent de par notre constitution.

Voilà donc un texte a priori protecteur qui, au fond, est insécurisant de fait, mais aussi de droit, tant pour les forces de l’ordre que pour les citoyens.

Alors pourquoi ce texte ? Parce qu’il a été dicté non pas par la réflexion, mais par la logique infernale de la réponse instantanée à un évènement dramatique... Depuis des années, notre droit pénal s’est gonflé au rythme des faits divers développés par les journaux télévisés.

Tout comme la vie de nos « gardiens de la Paix », qu’ils soient gendarmes ou policiers, l’équilibre des situations juridiques est trop importante pour être laissé à la seule indignation, à l’arbitraire, aux réflexes séculaires du « œil pour œil, dent pour dent ».

En réalité pour protéger les forces de l’ordre, il faut un ingrédient essentiel : une présence sur le terrain plus importante pour faire de la prévention et de la dissuasion a priori, et non pour tirer une fois que le mal est fait.

Le groupe écologiste votera évidemment contre cette PPLconsidérant que ce texte imparfaitement élaboré s’apparente davantage à un effet d’affichage à des fins de communication politique que d’une volonté réelle d’améliorer la législation.

Nos « gardiens de la paix » et le respect du travail parlementaire soigné méritent à notre sens bien davantage.

Je vous remercie.

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