Le mémoire en duplique

Ou le problème de la rhétorique juridique

jeudi 18 janvier 2007, par Hélène Lipietz

La rédaction d’un mémoire a pour but de convaincre le juge de la justesse de sa thèse plus que de démolir la thèse de l’adversaire. C’est un exercice difficile.

La difficulté de l’exercice est augmentée lorsqu’il s’agit d’un mémoire de droit administratif et d’un second mémoire en défense, autrement appelé mémoire en duplique.

Absence de mémoire récapitulatif

En droit administratif, contrairement au droit civil, il n’y a pas de mémoire récapitulatif. Le juge administratif est assez grand pour faire tout seul la synthèse des moyens et des arguments repris par les parties.

Le mémoire récapitulatif est en sorte fait par le rapporteur et par le Commissaire du Gouvernement. D’où l’habitude de renvoyer à ses précédentes écritures qui caractérisent les avocats spécialistes en droit administratif, mais aussi l’impossibilité de relire un mémoire sans le précédent, avec des allers-et retours continuels entre les mémoires de l’adversaire et ses propres mémoires.

La priorité donnée aux moyens de droit

Dans notre cas, le problème était corsé par le fait que l’adversaire avait changé de plan en s’adjoignant un nouvel avocat. Le mémoire est plus ordonné même s’il n’est pas plus riche au fond : les moyens sont les mêmes, les arguments sont parfois plus développés plus ... argumentés !

Certes, sans vouloir sous-estimer l’adversaire, il y a un moyen qui a été mieux développé : celui du statut de la jurisprudence. Etait-il possible d’aller contre la jurisprudence qui interprétait le rétablissement de la légalité républicaine comme interdisant toute action en responsabilité ?

L’adversaire a soulevé le moyen que la jurisprudence ne serait pas loi et qu’il y a eu des arrêts dissidents...Rémi y a répondu.

Enfin, la SNCF a fait remarquer que, dans la facture retrouvée par SCHAETCHER, le mot réquisition côtoie le mot convention. Rémi et moi en avions discuté avec Alain, tout en cherchant des giroles...

Et Rémi avait trouvé la réponse qui était évidente : le mot réquisition est polysémique, en droit, et veut simplement dire « demandes expresses » comme dans « les réquisitions du procureur de la République ». Ce mot peut vouloir dire « ordre absolu » comme dans « réquisition des fonctionnaires » mais est, dans ce cas, toujours suivi de la loi qui permet la-dite réquisition. Enfin, dans un contrat, ce mot renvoie à la notion de «  bons de commande », comme pour les réquisitions de navires ou de garages chargés d’amener à la fourrière les voitures qui encombrent les trottoirs.

Bref, la réquisition générale n’existant plus depuis le 5 août 1940, la SNCF aurait dû produire et indiquer dans sa lettre de transmission de facture, le numéro de la réquisition et la loi autorisant la dite réquisition... Ce qu’elle n’a jamais fait. Donc le mot réquisition, suivi de convention des transports de l’espèce indique bien que la SNCF n’était pas réquisitionnée au sens fort, mais qu’elle avait passé un marché à bons de commande successifs...

Rémi avait oublié de relever cet argument, heureusement qu’Alain, avec son oeil persan hérité de Papa, a relevé ce point... Mais était-ce fondamental ?

Car même requise de force, la SNCF était responsable en droit de l’exécution de la réquisition et des dommages causés par l’exécution de celle-ci... Sauf à la SNCF de montrer qu’elle était forcée de faire littéralement cuire dans des wagons à bestiaux des êtres humains sans eau, elle était bien responsable de ces conditions de transport.

L’Etat n’a jamais répondu à la mise en demeure de la Cour administrative d’appel de présenter des observations... Bref, la fameuse convention manque toujours à l’appel tout comme les fameuses réquisitions.

Donc le juge va statuer selon le droit commun : la SNCF doit transporter des voyageurs dans des voitures et non dans des wagons (Merci Guy pour cette précision) et ne doit pas protester quand la Croix rouge donne de l’eau et cela aujourd’hui comme comme à l’époque...

Sur les faits et la charge de la preuve

Rien de fondamental dans les faits. Il faut savoir arrêter la discussion sur ceux-ci surtout 60 ans après et alors que nous n’avons pas les moyens d’investigations nécessaires, le juge peut ordonner une mesure d’instruction... cela retardera d’autant la solution. La SNCF n’a pas produit des éléments de fait qui la dédouane...

Or la charge de la preuve est renversée dans un appel : de demandeur à l’action, nous sommes devenus défendeurs à l’appel. Notre rôle est de dire « prouvez le ». Mais la SNCF n’a pas prouvé que l’Etat l’obligeait à une telle pratique, en dehors de toute intervention des Nazis, jamais en cause pour les transports d’internés...

sur nos chances de gagner

Encore une fois, Rémi a déjà gagné l’inimaginable, il est pour certains juifs « un Elu » de Dieu... euh... Il préfère être l’élu de mon cœur, c’est déjà assez difficile comme cela.

La victoire définitive sur l’Etat est déjà belle, il ne faut pas l’oublier.

La victoire sur la SNCF peut être confirmée mais elle peut être infirmée et le problème surtout est que même confirmée, elle ne préjuge pas de la victoire pour les déportés sur la SNCF car encore une fois nous n’avons étudié que les voyages en train, ordonnés par le Gouvernement de Vichy. Qu’en est-il vers l’Allemagne ? Nous avons laissé le plaisir de ces recherches historiques à nos confrères et consœurs qui assistent, parfois au delà de l’imaginable les déportés et leur famille.

Une semaine de fous

Comme d’habitude, Rémi a demandé à ses clients de relire le mémoire. Mais le temps pressait : il était à 3 semaines d’une audience... La Cour n’a pas attendu d’avoir le mémoire en réplique pour fixer la date d’audience ... donc c’est que sa religion est faite... Dans quel sens ? je ne sais même si je pense que c’est dans le bon sens... Alors a commencé une semaine de fous, de part et d’autre de nos ordinateurs ! Rémi a soumis à Catherine, Alain et Guy son premier mémoire sans attendre et surtout sans que le mémoire de la SNCF leur soit parvenu...

La seconde version leur a été envoyée avant même qu’ils aient fini de lire la première.

D’où la panique de tous bords. Bref, un souvenir de famille de plus...

Sur la qualité du mémoire

Ce mémoire est-il meilleur ou moins bon que le précédent (il fait 24 pages contre 100 pages) ? Difficile à dire puisqu’il n’a pas le même rôle, qu’il intervient plus tard dans la procédure. Disons que je le trouve, à tête reposée, très bon, du même niveau que l’autre parce que Rémi a essayé, suite à l’incompréhension de certains points par ses clients, y compris moi, d’être encore plus pédagogique. J’ai gardé d’ailleurs mes commentaires et les précédentes versions pour un jour, peut-être, faire un livre de rhétorique administrative, que Rémi a commencé un peu dans son « petit traité du procès administratif » :

  1. comment rédige-t-on un mémoire ?
  2. pourquoi certains éléments ne sont pas à leur place dans le mémoire ?
  3. pourquoi faut-il répondre à cet argument mais pas à tel autre ?
  4. comment laisser une marge de rédaction au juge ... et oui ne pas oublier qu’un mémoire est fait pour un juge et non pour les parties [1].

Bref tout ce qui fait le plaisir de l’écriture d’un mémoire, en vous souhaitant du plaisir à la lecture et en vous laissant pronostiquer le résultat, par exemple sur mon forum. Je m’engage à mettre vos pronostics... après l’arrêt rendu bien sûr !

Documents joints

Notes

[1Le seul cas où je fais un mémoire pour l’adversaire, c’est lorsque celui-ci n’a pas d’avocat ou un avocat qui, manifestement, n’a rien compris au problème de droit administratif et que j’essaye d’expliquer ce que l’avocat aurait dû lui expliquer pour que l’adversaire ne fasse pas le procès. Un avocat doit savoir empêcher les procès perdus d’avance, comme Rémi l’a fait pendant 25 ans auprès de Papa

Forum

1 Message

  • Le mémoire en duplique date forum, par Alain

    Si fait, j’avais bien lu la première version du mémoire en duplique et avait suggéré des corrections, intégrées par Rémi dans la seconde version, version que j’ai lue, réponse de la Sncf en main, comparant ligne à ligne, et j’ai rédigé tranquillement quelques nouvelles suggestions en fumant ma pipe, suggestions d’ailleurs reprises pour la plupart dans l’excellent mémoire final en duplique de Rémi.

    La coopération, ça paie.

    No pasaran !