Quand la petite fille écrit à son grand-père au delà de la mort

Drancy ou les larmes d’un grand-père

jeudi 25 janvier 2007, par Hélène Lipietz

La perspective de l’appel fait remonter les souvenirs, pourtant pas vieux de la première instance.

Ma fille aînée, mariée de frais et qui va nous faire grand-parents (merci, ma pupuce) en juin, vient de m’expliquer son choc quand elle a réalisé, lors de notre retour de Toulouse, en train de nuit, donc avec arrivée à PARIS-AUSTERLITZ que nous allions refaire le même chemin que Papa.

J’avais eu le même choc, surtout lorque les cheminots ont plaisanté avec nous ! J’ai pensé à ceux qui ont refermé la porte sur des hommes, des femmes et des enfants dans le wagon où était ma famille, dans la pénombre d’un train qui allait mettre 36 heures pour arriver à Paris...sans eau, sans toilette, des animaux... depuis je pense régulièrement à ces cheminots, complices involontaires de cette horreur.

Je ne sais pas si Maïeul eut le même choc... Nous sommes très pudiques dans la famille et je ne l’ai pas interrogé la-dessus.

Mais je tiens à ce que l’hommage de ma fille aînée à l’arrière grand-père de son bébé soit rapidement accessible alors que d’ici 8 jours, à nouveau, la curiosité du public va reprendre.

LETTRE DE MA FILLE AàŽNÉE

Drancy, lettre à mon Papi.

Papi, j’avais quatorze ans le jour où tu m’as fait visiter Drancy. Aujourd’hui j’en ai vingt-quatre et je ne me souviens que de tes larmes. C’est terrible de voir pleurer son grand-père. Ca ne pleure pas un grand-père, pas le mien.

Oh, bien sur je me souviens de ton histoire. Ton arrestation par des français suite à la dénonciation de bons français... Tes explications sur la gestion du camp, par des français avant ton arrivée, puis par des allemands, beaucoup plus ordonnés, qui ont remis de l’ordre dans le camp.

Je réentends ta voix racontant les méthodes des nazis pour déterminer qui est juif de qui ne l’est pas ; et ces deux femmes, la mère et la fille, dont l’une fut déclarée juive et l’autre 100% aryenne. On aurait dit une de tes blagues et pourtant c’était vrai et personne n’a pu rire en l’écoutant.

Tu as aussi raconté comment vous vous en êtes sortis, comment vous avez toujours nié êtres juifs, vos faux certificats de baptême, ta non-circoncision et l’absurdité de ces gens qui voulaient tuer tout un peuple mais ne voulaient pas faire d’erreurs...

C’est ce qui vous a sauvés. Mais de peu, vous deviez partir dans le dernier train et Drancy a été libéré et vous avez été sauvés. Mais ceux des trains précédents ne sont pas revenus...

Bien sûr, je me rappelle de tout ça. Mais quand je repense à cette journée, je ne vois que tes larmes, quand je vois un film sur la Shoah je ne vois que tes larmes. Aujourd’hui j’ai compris pourquoi elles m’ont tant marquée.

Car elles étaient belles tes larmes, belles car tu ne pleurais pas sur toi, ni sur ton passé, t’en es-tu plaint une seule fois ? Non tu pleurais sur tout ceux que tu as vu partir et ne pas revenir, sur ces hommes, femmes, enfants que tu connaissais à peine, juste ces quelques mois à Drancy, mais qui, eux n’ont pas eu ta chance. Et tu pleurais en me racontant que tu aurais dû être du dernier train celui qui n’est pas parti, et tes larmes versées pour ceux de l’avant-dernier train, dont nul n’ est revenu vivant... Quelle chance tu as eue.

Aujourd’hui tu es mort Papi. Moi j’ai vingt-quatre ans, l’âge que tu avais en 46. Un jour moi aussi j’aurai enfants et petits-enfants. Et je leur raconterai ton histoire. Pour que l’on n’oublie pas, pour que cela ne se reproduise plus...

Ta petite-fille l

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