Commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé

Discussion publique

mardi 11 juin 2013, par 0.20 Perline Noisette, Hélène Lipietz

Une fois un rapport d’enquête adopté, le groupe à l’initiative de cette commission, peut demander un débat public.

Ainsi nous nous sommes retrouvés à une quinzaine de sénateurs-trices dans nos fauteuils pour expliquer à la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, Dominique Bertinotti, les conclusions du rapport et les préconisations.

Nous nous sommes donc écoutés poliment, même si je n’ai été applaudie que par deux personnes, alors que les autres orateurs, laudatifs sur ce rapport, ont été applaudis sur tous les bancs.

Voici donc mon texte qui reprend quelques unes de mes idées insérées dans le rapport et je vous indique aussi le compte-rendu intégral des débats, je vous recommande les discours du rapporteur et du président, discours qui me paraissent plus pertinents que leur écrits.

Voir en ligne : Contribution au rapport de la commission d’enquête

Après 6 mois de commissions, 72 auditions, un voyage, une visite au salon du bien être, quelque peu épuisante

je suis désolée de constater que je reste sur ma faim :

je ne sais toujours pas ce qu’est une secte, ce qu’est une dérive et ce qui relève de l’escroquerie ou de l’abus de faiblesse classique, mais il est vrai que je ne sais toujours pas ce qu’est la santé...en dehors de la définition de l’OMS.

Mon insatisfaction vient peut-être de l’intitulé et donc de l’orientation de notre mission : « l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé »

Or le problème n’est pas de savoir si certaines sectes utilisent le biais de la santé pour couper leur patient du reste de la société, ou de leur famille, et en leur soutirant de l’argent,

mais bien de savoir comment faire pour que l’emprise qu’exerce nécessairement celui qui sait sur celui qui ne sait pas ne dérive pas vers des pratiques contraires à la liberté et à la dignité de l’Humain.

 Un médecin allopathe ne dérive-t-il pas quand il n’explique pas le pourquoi des examens prescrits ou des traitements, lorsqu’il impose son savoir à celui qui lui fait confiance ?

Ne dérive-t-il pas quand il ne prend pas le temps d’écouter parce qu’il n’a pas été formé à cela ou parce qu’il n’a plus le temps matériel de le faire, tant notre système de santé est en crise ?et cette réflexion est pour l’ensemble des personnels médicaux.

 60% des malades d’un cancer consulteraient un praticien de soins parallèles [1]. Sont-ils tous embrigadés dans une secte ? Ou sont-ils tous victimes d’escroquerie ?

Compromettent-ils réellement ainsi leurs maigres chances de guérison de certains cancers ?

Il faudrait faire, enfin, une comparaison sur les derniers moments de vie, en qualité, en conscience, en absence de douleur entre les patients allopathes et les patients altermédicaux

 Ma petite belle-sœur est morte d’un cancer après avoir été traitée classiquement. A-t-elle été victime d’une dérive médicale, d’acharnement thérapeutique ?

Et autour de nous combien de »œmiraculés du cancer » qui expliquent devoir la vie ou du moins leur rémission à telle ou telle pratique ?

 La question n’est donc pas le choix des méthodes de soin, mais bien l’emprise que peuvent avoir certains sur des personnes, notamment en période de fragilité liée à la maladie ou au mal-être, d’autant que ces mainmises existent dans tous les domaines sociaux, notaires, avocats ou entraîneurs sportifs peuvent aussi dériver.

Mais cette emprise est plus facile en matière de santé car nous sommes mortels et nous connaissons la douleur. C’est pourquoi, comme l’a écrit André Malraux  »œtout dialogue avec la mort commence à l’irrationnel »

La liberté, notre condition humaine, exige que nous ayons le choix de notre chemin vers la mort.

On a le droit de refuser pour soi des pratiques médicales et de préférer les bains de siège lorsque seule notre santé est en jeu...

Mais aujourd’hui la société est-elle prête à accepter ce libre choix dans le pays de Pasteur ou de Marie Curie ?

Le refus des soins certifiés »œsérieux » , à défaut d’être sûrs, est incompréhensible pour un esprit éclairé,

la sécurité sociale rend les soins peu, moins coûteux, et pourtant certains préfèrent ne pas en bénéficier et aller voir un laveur de colon ou un poseur de pierre, dépenser leur argent au lieu de dépenser l’argent des autres.-

Bref, tout autant que de savoir si des charlatans abusent de la détresse des gens, il vaudrait aussi se demander pourquoi les malades ou leur famille se laissent ainsi abuser.

Qu’est-ce qui, dans notre société, comme d’ailleurs dans celle d’hier, fait que certains n’ont pas, à un moment de leur vie, d’esprit critique, et se laissent abuser ?

 Autre interrogation sans réponse :

y a-t-il des pratiques thérapeutiques non officielles qui pourtant font du bien ?

Et si oui, comment les détecter et surtout comment les labelliser, permettant ainsi aux citoyen-nes de les utiliser tout en en connaissant leurs limites.

Or, les rares tentatives d’évaluer les pratiques non conventionnelles sont immédiatement considérées comme visant à faire entrer le loup dans la bergerie,

alors même que certaines de ces pratiques sont regardées moins défavorablement dans d’autres pays.

 Bref, plus qu’une chasse aux sorcières, le groupe écologiste plaide pour une démarche pragmatique :

nul ne devrait pouvoir prétendre qu’une méthode ou un appareil, allopathique ou non, est utile en matière de santé s’il n’a pas fait l’objet d’une évaluation encadrée, d’un suivi effectif ou d’un enseignement connu, à défaut d’être reconnu par l’Etat.

 Il nous apparaît aussi qu’en l’absence de définition légale de la secte, au contraire de nos voisins belges ou luxembourgeois, et donc en l’absence de délits spécifiques,

il faut appliquer les lois sur les escroqueries ou l’abus frauduleux de la faiblesse d’autrui, avec une véritable politique de prévention et de détection

et, pourquoi pas, instituer la peine accessoire de retrait du titre universitaire, scientifique qui a permis le délit.

 En fin de compte, le sujet n’est pas épuisé mais, Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur,

vous avez ouvert une voie en nous proposant d’entendre les condamnés a priori

reste à évaluer sereinement, sans a priori, les pratiques non homologuées en France.

P.-S.

Voir, à ce sujet, l’article concernant ce thème du journaliste d’Ouvertures avec lequel j’ai eu de longs échanges, parfois vifs, sur ma contribution au rapport.

Notes

[1certains en reviennent et créent de ce voyage un blog : http://isc-zoelie.blogspot.fr/

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