Alerte du CIE quant à un décret

qui pourrait évincer les associations non fédérées

mercredi 19 mars 2014, par Hélène Lipietz, Emmanuelle Orvain

Les écoles de chiens guides d’aveugles se répartissent en deux catégories : celles qui sont affiliées à la FFAC (Fédération française des clubs et écoles de chiens-guides d’aveugles) (12) et les 5 qui ne le sont pas, dont le Centre indépendant d’éducation des chiens guides d’aveugles.

Voir en ligne : Le site du CIE

Etat des lieux

La Fédération estime à 1 500 le nombre de chiens-guides en circulation en France. Mais 500 chiens supplémentaires sont en circulation grâce au travail des associations non affiliées. Ainsi 25% des chiens-guides du territoire sont remis par des écoles non fédérées.

Ces écoles ont la particularité de demander simplement la carte d’invalidité au mal-voyant avant d’agir conformément à l’article 54 du code de l’action sociale et de la famille (CASF) : « Article L245-3 La prestation de compensation peut être affectée, dans des conditions définies par décret, à des charges : 5 ° Liées à l’attribution et à l’entretien des aides animalières. A compter du 1er janvier 2006, les charges correspondant à un chien guide d’aveugle ou à un chien d’assistance ne sont prises en compte dans le calcul de la prestation que si le chien a été éduqué dans une structure labellisée et par des éducateurs qualifiés selon des conditions définies par décret. Les chiens remis aux personnes handicapées avant cette date sont présumés remplir ces conditions. »

« Il y a une différence entre prendre des garanties comme demander la carte d’invalidité par exemple, et faire passer une batterie d’examens médicaux au demandeur d’un chien-guide, comme c’est le cas dans certaines écoles affiliées ! » me faisait remarquer Madame la Présidente. Il semble important de comprendre que ces questionnements peuvent être perçus comme abusifs et intrusifs par la personne déficiente visuelle qui se sent obligée de se « dévoiler » totalement pour bénéficier des services des écoles fédérées (projet de vie, certificats médicaux, contraintes calendaires de suivi).

« Certaines des associations non fédérées ont entre 20 et 25 ans d’existence, preuve de leur sérieux ! D’autres ont des vocations bien spécifiques comme c’est le cas de MIRA Europe et MIRA Canada, par exemple, qui remet des chiens à des mineurs, alors que les écoles fédérées estiment que ceux-ci n’ont pas encore de projet de vie et n’ont donc pas besoin de chien » ajoutait Eric, le directeur technique, éducateur de chiens-guides d’aveugles qui accompagnait Marie lors de notre rencontre.

Un projet de décret

Madame la Présidente de la CIE et l’éducateur de chiens-guides que j’avais déjà rencontrés sont inquiets car un projet de décret d’application de l’article 54 de la loi 2005/102 du 11 février 2005 entend "labelliser".

Certains points de ce décret risquent de mettre à mal les écoles non fédérées :

  • La labellisation : les critères de labellisation pourraient ne pas correspondre aux 5 écoles non fédérées bien que celles-ci admettent la nécessité d’une telle labellisation, prévue par l’article de loi : elle garantirait certes la bonne utilisation des fonds publics, mais elle engendrerait également des surcoûts importants d’investissements ou d’augmentation des effectifs, de surface exploitable sur site (chenils, terrains de détente, lieu d’accueil pour les futurs maîtres) auxquels ne peuvent répondre l’ensemble des associations, et notamment les non fédérées, même si certaines respectent déjà ces futurs critères.

Ainsi, le CIE n’a pas de chenil et n’en a pas besoin puisque les chiens sont ramenés tous les soirs dans leur famille d’accueil. Il n’a pas besoin non plus d’un espace d’accueil des futurs maîtres puisque la remise et l’adaptation du chien se fait à leur domicile, et donc dans leur environnement. Sous prétexte de labellisation, ce sont des démarches innovantes ou différentes comme celles du CIE qui seraient remises en cause et qui limiteraient le libre choix des personnes handicapées qui peuvent préférer avoir un chien n’ayant pas subi le stress du chenil à un chien ayant vécu dans un chenil certes avec de l’espace, mais en dehors d’une famille d’accueil. Parfois même, certains handicapés demandent au CIE d’éduquer, si le chien s’y prête, le chien qu’ils ont eux-mêmes choisi, ce qui n’est pas possible dans les écoles fédérées. La Présidente se demande si son chien, étonnant croisé de Bas-Rouge et de Berger Allemand eut été admis dans une école fédérée.

Pas (encore) de pigeon sur le balcon, mais Gingko !

  • Le certificat national de circulation : le décret propose la création d’un certificat national de circulation qui serait attribué aux détenteurs d’un chien-guide. En cela, il contrevient au libre droit de circulation en Europe, puisqu’un détenteur de chien-guide non français visitant Paris et n’ayant pas de certificat national de circulation se verrait par exemple refuser l’entrée dans un lieu public. Pourtant, ce certificat national de circulation, créé par décret, ne saurait se substituer à la carte d’invalidité dont il est question dans l’article 54 de la loi.

Certes, ce certificat serait remis également aux éducateurs et aux familles d’accueil d’un futur chien-guide, ce qui pour moi serait une avancée. Plus discutable est la remise d’un tel certificat aux familles adoptant des chiens-guides à la retraite car celui-ci n’exerce plus son métier auprès de son maître.

En conclusion, ce décret d’application envisagé pour faciliter l’accessibilité des chiens-guides, quelle que soit la période de leur vie (découverte, apprentissage, activité et vieillesse), risque de compromettre encore davantage l’existence des futurs chiens remis par les écoles indépendantes et du duo maître/chien-guide qui en découle.

De plus, ce décret ne s’attaque pas aux difficultés d’accessibilité aux lieux publics constantes et quotidiennes pour les déficients visuels malgré la loi déjà en vigueur.

Une mainmise aux conséquences potentiellement désastreuses

« Avec cette labellisation, d’un point de vue éthique, on est à l’inverse de la démarche ! Personne n’a jamais eu de preuve qu’un chien provenant d’un chenil était meilleur et plus performant qu’un chien ayant vécu en famille. Selon leur nature, certains chiens sont au contraire très sensibles à la vie en chenil et sont « cassés » à la fin de cette expérience » selon Eric qui fait valoir ses 25 années d’expérience en la matière et son travail avec des chiens ayant vécu en chenil.

Les écoles fédérées tablent sur le fait que le chien en chenil n’est pas vraiment à sa place et s’attacherait et s’adapterait ainsi plus rapidement à son nouveau maître. Opinion discutable, comme je le disais à Eric et Marie, pour avoir fréquenté les deux types d’écoles d’aveugles, je n’ai détecté aucun plaisir pour le chien à être enfermé en chenil, l’expérience du CIE est d’ailleurs en sens contraire de ce que j’ai vu, et c’est pourquoi j’ai décidé de remettre une part de ma réserve parlementaire au CIE.

De plus, où est la liberté pour la personne handicapée qui souhaite choisir son chien et la méthode d’éducation qui l’a façonné ?

Le problème des MDPH

Au-delà de ce décret, le CIE m’a alertée sur les pratiques discutables des MDPH Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui exercent - dans certains départements - un abus de pouvoir en exigeant que le chien-guide soit remis au maître par une école fédérée afin que ce dernier perçoive une prestation de compensation handicap (PCH) animalière. Le CASF exige comme seul critère pour bénéficier de cette prestation la carte d’invalidité déficient visuel. J’ai donc alerté la Ministre afin qu’elle puisse revoir le projet de décret et qu’elle puisse attirer l’attention des MDPH sur leurs pratiques contra legem.

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