inauguration d’une aire d’accueil pour gens du voyage,

mon discours

samedi 31 janvier 2009, par Hélène Lipietz

De temps à autre, je représente le Président du Conseil régional dans des inaugurations d’installations financées en partie par la région.

Grâce à la volonté de Francine BAVAY, notre vice-présidente verte en charge des affaires sociales et de la solidarité, la Région Ile de France aide les départements à qui incombent en premier lieu la mise en œuvre d’un schéma d’accueil des gens du voyage.

Le 11 octobre 2008, a été inaugurée une aire d’accueil à Moissy-Cramayel, et on m’a demandé d’aller faire le petit discours habituel. C’est l’occasion pour chacun de dire combien sa collectivité est généreuse envers les gens du Voyage et combien ceux-ci devaient être reconnaissants de tout ce que la société faisait pour eux »¦

Le Préfet de Seine et Marne a été très clair, une aire d’accueil certes, mais à terme c’est tout le monde sédentaire et je ne veux voir qu’une seule culture sur notre bonne vieille terre de France : celle de ceux qui ne voyagent que pendant leurs vacances, ah mais ! On pouvait penser que le(la) représentant(e) de cette très ancienne culture aurait sa place et pourrait parler »¦ faut pas exagérer, on les accepte sur notre territoire, eux qui y sont présents depuis le XV éme siècle, on ne va pas en plus leur laisser la parole !

Parce que je commence à comprendre comment fonctionne ce genre d’inauguration, j’ai, comme d’habitude parlé en décalé, mais j’avais, pour une fois, préparé mon discours. Du coup, le voici »¦

mon allocution

Je venais d’apprendre à lire et je trompais mon ennui lors des voyages en voiture en lisant les panneaux routiers. A l’entrée d’Avallon, la ville de mes ancêtres maternels, j’ai péniblement lu : « interdit aux nomades ». Interdit, je connaissais, les adultes passent leur temps à interdire aux enfants »¦ mais Nomades ? et Maman de me donner une explication : les nomades ce sont les Bohémiens, les Romanichels (il paraissait que je m’habillais comme eux), les gens du voyage. Et puis Maman a ajouté « ils ont autant souffert durant la guerre que les Juifs ». Je n’avais que 6 ans et je savais juste que Papa avait été interné et que cela avait été dur »¦

Entre la folie d’une guerre plus folle que les autres, et notre temps ordinaire

Qu’êtes-vous devenus, nos amis du voyage ?

Depuis 6 siècles bientôt, vous nous dérangez parce que vous êtes pleinement citoyens d’un monde qui nous devient peu à peu inconnu et dans le confort de nos maisons immobiles nous vous regardons passer.

Vos racines sont si fortes qu’elles sont pour vous des ailes qui vous permettent de voyager. Nous vous avons copier avec nos caravanes (roulottes n’est pas un mot pour nous) Nous vous avons souvent pris vos lieux de séjour séculaires, les plus beaux, bien sûr, pour en faire des campings (cela fait mieux comme vocabulaire que campement)

Nous avons essayé de vous prendre votre musique et la mettre en disque, sous plastique ou en festival, mais avons-nous cherché simplement à être à vos côtés comme nous avons pu l’être avec d’autres peuples, d’autres migrants ?

Il y a encore tant de chemin à faire de votre côté et de notre côté pour que nos routes se rejoignent.

De temps à autre, nous nous rappelons que nous vous devons tant, alors nous acceptons enfin de vous accueillir (cueillir, recueillir le souffle d’un peuple libre peut-être).

Notre modernité (eaux usées, tri sélectif) ne doit pas être un pieu pour nier votre culture mais pour qu’enfin nos deux peuples, sédentaires et voyageurs, se trouvent et s’apprécient.

Un avocat seine et marnais célèbre [1] a récemment écrit : Que le législateur a entendu normaliser le comportement des gens du voyage par la construction d’aires d’accueil convenables pouvait effacer abruptement des siècles de répression

Tel n’est pas mon souhait ni celui de la Région, croyez le bien.

La région île de France est un lieu de passage mais aussi un lieu de séjour et donc d’accueil. Puisse cette aire comme toutes celles qui sont aidées par les Collectivités territoriales être pour vous une aire de repos.

Nous souhaitons simplement vous dire « bienvenue en Ile de France, bienvenue chez vous, mes chers concitoyens, mes chères concitoyennes. »

En conclusion

En le relisant, je comprends pourquoi je suis si peu sollicitée, tant je suis en décalage de ma représentation »¦ Et bien tant pis parce que j’ai été la seule oratrice interrompue (il est vrai que j’étais aussi la seule femme !) par de « oh ben oui », lorsque j’ai rappelé d’autres camps et certainement le plus applaudi du fond du camp, là où étaient ceux que nous aurions dû honorer.

Notes

[1Devinez qui ? il faut bien que je lui rende hommage !

Forum

2 Messages

  • C’est un peu dommage, Hélène que tu aies oublié le travail des députés durant la législature 1997-2002 (gouvernement Jospin avec D.voynet) qui oblige les communes à équiper des lieux pour« les gens du voyage ».J’ai été maire adjoint à Noisiel, élu vert auprès de Daniel vachez maire et député de l’époque (socialiste).Il avait participé au travail de cette commission parlementaire, m’en avait expliqué toute l’humanité qui était au coeur du projet et les incroyables réactions des mecs de droite .La haine, en un mot de ceux qui ne supportent pas que l’on ne vivent pas comme EUX.

  • J’ai bien aimé votre allocution. Je trouve que vous avez beaucoup de cran et d’esprit d’indépendance. Car c’est une attitude qui va complètement à contre-courant de tout ce qui se fait avec (ou plutôt contre) les gens du voyage. Vous avez recentré le débat sur un autre problème, très actuel, l’acceuil des « autres »,en général,( les étrangers,les immigrants,) mais surtout ceux qui sont ici chez eux, comme nous, depuis des générations, mais qui ont choisi de vivre autrement. Je veux espérer que notre monde immobile comprendra peu à peu l’importance de la diversité, et du mouvement.